Tout l’univers à 2 136 km d’ici

Un ami s’en est allé. Il a pris la poudre d’escampette un jour de novembre 2020. Loin, là-bas, à Kiev. 2 136 kilomètres du bled natal où nous nous sommes connus, copains d’enfance, comme on dit, et même copains d’enfances tellement nés la même année on s’est suivis tout au long de notre scolarité, et même en dehors, nos nôtres parents étant amis et se voyant régulièrement, lui plutôt devant moi, c’était une tronche comme on dit. Un haut potentiel, comme on ne le disait pas à l’époque. Avec ce que cela induit de moments difficiles pour lui car trous du cul nous savions fort bien être. Avec ses différences, dont nous n’avions jamais compris je crois à quel point il aurait vu ne les porter pas et dont je comprends à quel point elles l’ont mené loin.

Un copain d’enfance s’en est allé et je lui dois la seule tarte dans la gueule que je me sois jamais prise. Pour une raison qui aujourd’hui m’échappe tout à fait, ce jour-là, nous en sommes venus aux mains, lui et moi. Nous étions en classe de cinquième. Une sacrée année pour nombre d’entre nous ; ça chiait. Ce jour-là, nous étions en cours de sport. Athlétisme, je crois. Saut en longueur. Et je le revois, dégainer soudain sa claque, et je me revois, pantois, et en même temps, tellement pantois peut-être, pas rancunier pour deux sous, je l’avais sans doute bien cherchée la beugne, déjà admiratif de quelque chose chez lui que la bêtise masculine empêche de dire surtout à ces âges-là où la connerie est quand même assez bien développée. Cette claque est restée un beau souvenir, qui nous valu d’être séparés par alentour comme si nous étions des lions en cage, comme si nous allions je ne sais pas moi, retourner le macadam de la cour, dészinguer le bahut, exploser le village. Alors que pas du tout, ça avait ripé, c’est tout. Ni lui ni moi n’étions doués pour ce registre. Il avait forcé mon respect.
La vie faisant, ses pas l’avaient conduits loin du bled où il revenait régulièrement.
La vie faisant, c’est en Ukraine qu’il avait posé ses valises, et c’est en Ukraine qu’il s’en est allé.
Son dernier aller vers là-bas sera le but ultime d’une vie qui forcément, nous aura vus nous éloigner, perdre le contact mais en ayant quand même toujours des nouvelles.
C’est étrange, aujourd’hui, de le savoir là-bas.
De savoir qu’il s’en est allé là-bas.
Les informations sont rares.
Dans la hotte aux souvenirs, il n’y a pas que la claque, heureusement.
Ce type, haut potentiel comme on ne le disait pas à l’époque, était un puits de savoir, une mine d’informations de toutes sortes, il avait par exemple avalé tout jeune l’ensemble des exemplaires de l’encyclopédie Tout l’univers, et en cours, il n’était pas rare de le voir trépigner, lever la main, il savait.
Une mémoire phénoménale et une curiosité de tous les instants : c’était lui.
J’avais découvert le Gainsbourg reggae grâce à lui.
Pétomane averti, fortiche en langues (il en parlait je ne sais plus combien), je suis ému, aujourd’hui, en pensant aux efforts qu’il a dû faire tout au long de ces enfances, lui le différent, le pas bon en sport, le pas doué en vélo, la risée parfois de ces fumiers de gamins que nous étions et pouvions être. Je (re)vois cette mâchoire dire, les dents serrées, j’y arriverai. J’y arriverai. Je revois cette détermination, elle éclaire ce moment singulier où l’on apprend la mort de quelqu’un que l’on a connu, que l’on connaissait. Je revois ce regard touchant, finalement.
Car il y arrivait, en effet. Pas toujours très bien, pas toujours de manière académique, à sa façon.
Et puis il aimait aussi le foot. Un signe, forcément, qu’un gars bien s’en est allé de cette planète dont il ne devait pas trop aimer la destinée, lui qui s’intéressait avec la sincérité des désintéressés aux autres.
Je me dis qu’aujourd’hui, il nous regarde avec ce sourire en coin de ceux qui s’y connaissent en Tout l’univers. Qui aiment les jeux de mots et les échecs, Desproges et Coluche.
A 2 136 kilomètres d’ici avant le retour au pays natal.
A sa maman, à ses soeurs, j’adresse ce texte et cette mémoire intacte.
Des gens nous marquent. Ils sont en nous. Pour toujours, désormais.

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