Le nénuphar

Le pourquoi, bien sûr. Il en grêle. De ces pourquoi sans interrogation. Ils n’appellent pas de réponses. Juste ils reflètent un état d’esprit. Une sortie de parenthèse. Pourquoi ce soir chez ces gens-là. Pourquoi ce partage au-delà des mots avec des regards profonds et l’irrésistible force du toucher. Parce que amour tout simplement, en mesurant parfaitement toute la complexité et tous les chemins et tous les giratoires et toutes les impasses qui ont précédé ce tout simplement.
Une vie s’en est allée dans son sommeil un 22 janvier et le matin suivant, d’autres vies se sont réveillé avec l’impression de se cogner la gueule contre le plafond.
Nous sommes là avec eux ce soir. Cela n’a pas de sens d’une certaine manière, on ne se connait pas tant que ça, pas si bien que cela, mais nous sommes là avec juste l’envie de soutenir de comprendre ensemble et de savoir que l’on ne comprendra de toute façon pas.
On pensera pourquoi. On le dira sans le dire. On y répondra sans y répondre.
Il y a de l’hagard parfois dans nos quotidiens. Des chocs. Un air de chaos, car une vie qui s’en va en entraîne d’autres et chacun fait comme il peut.
Il pleut des larmes y compris celles qui se retiennent.
Et c’est juste cela qui est à vivre. A vivre aussi. Ici. Maintenant. Pendant que les coups de téléphone s’amoncellent et que les pensées se multiplient. Logiques. Irrationnelles. Nombeuses. Absentes.
Une vie qui s’en va dit beaucoup des vies qui restent. Et de la personne qui déjà n’est plus là. Ces vies qui restent étalent leur chagrin a côté de l’absente sans qu’il soit impudique de l’oser, ce chagrin. Au contraire.
Définitivement disons-le : les pourquoi roulent en vagues aux côtés des pourquoi pas. Ça va et ça vient. Ça ne va pas et ça ne vient pas. Tout est dans l’improbable équilibre de ces masses contraires et de ces ressacs.
Une lumière s’est éteinte. Une fleur s’est fanée. Il en va des femmes et des hommes comme des saisons. Et pourquoi les saisons. Pourquoi le vent le sable la forêt le nénuphar. Pourquoi la mer. Pourquoi le fleuve. Pourquoi la rivière.
Parce que la vie. Parce que l’amour. Et c’est à peu près tout.

Nous sommes tous des Mirabelles

Novembre 2018 / Décembre 2019.
Aux côtés de la vie qui s’en va

La mère. Puis le père. Ils s’en sont allés. Avec classe, et je ne dis pas ça parce qu’ils furent enseignants avant de bénéficier d’une longue retraite. Des témoins de l’ancien monde, qui ont étudié, travaillé, et qui, retirés des affaires, ont donné de leur temps au bien commun. En pensant un peu plus à eux.
Ils sont partis à mesure que leurs corps les lâchaient, eux qui avaient toute leur tête, comme on dit, même si ce n’est pas tout à fait vrai. Des rides soucieuses en forme de points d’interrogation étaient apparues et, je le perçois maintenant, ces rides disaient les rudes pensées qui avaient fini par s’incruster comme les berges d’un fleuve.
La question du sens de la vie se pose quand on est sur les rives des 80 ans passés.

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Orphelin de cape

Il disait, tout le monde n’a pas la chance d’être orphelin et ce disant, parlant à son fils, il serrait les poings comme s’il pensait à son père, ses silences, ses poings à lui qui parfois se cognaient contre sa joue, comme un long dialogue sans mots qui se déroulait de père en fils, de génération en génération, le suivant disant à la génération future ce qu’il n’avait pas réussi à dire à l’ancienne génération.
L’enfant le prenait pour lui, évidemment : son père lui parlait, dans les yeux même s’il n’était plus tout à fait sûr que son père le regardait alors. Peut-être le regard fuyait vers horizons inconnus. Juste son père lui disait tout le monde n’a pas la chance d’être orphelin, et ce disant, l’enfant écoutant, l’enfant se demandait pourquoi son père lui disait cela à lui qui ne l’était pas, orphelin, puisque on père était là. Que fallait-il qu’il comprenne ? En quoi aurait-ce été une chance d’être orphelin ? Une malchance de ne l’être pas ? Il sentait le reproche lui tanner le cuir, mais n’en comprenait pas l’origine. Encore moins la foudre. 
De longues années durant, l’enfant avait pris l’habitude d’entendre son père brandir cette étrange épée. Il n’avait pas conscience comme elle ressemblait à une hache, cette épée. Comme elle fendait en deux sa propre existence. Et de l’habitude à la banalisation, il n’y a pas loin, alors l’enfant avait pris son parti, ou avait cru le prendre, d’entendre cette phrase sans s’y apesantir plus que cela, sans se rendre compte que la laissant faire, elle put être un venin, et que ce venin indolore et inodore coulait en lui, teintant ses veines et ses déveines de Bleu.
Puis il devint père à son tour. Parfois l’étrange phrase revenait en mémoire et il n’en faisait rien. Si ce n’est être le père qu’il aurait aimé avoir. Jamais ses enfants ne furent orphelins. Ils eurent la chance d’avoir un père sans hache et sans épée. Sans la cape héritée de l’arbre généalogique.