Ironie identitaire

Disons-le très simplement : je suis un blaireau.
De ceux qui perdent assez facilement leurs affaires, explosent leurs téléphones portables, oublient une veste ici, un sac là.
Sans parler des clés.
Je suis un témoin professionnel de cette fameuse sentence : quand on n’a pas de tête, on a des jambes. Alors je marche. Je fais des tours et des détours. J’avance, je reviens sur mes pas, etc. Je m’inconfore, aussi, dans des positions étranges parfois, à la recherche par exemple de mes papiers d’identité, qui se sont fait la malle je ne sais quand.
Cela faisait un moment qu’il me semblait bien que j’avais paumé ces papelards.
De fréquentes recherches dans mes bagnoles, mes poches de manteaux et autres blousons, sous les coussins des canapés, dans divers lieux y compris des improbables en attestent.
C’est au moment d’aller voter pour le premier tour de l’élection présidentielle que le couperet est tombé. Ma seule preuve désormais de mon identité est… ma carte vitale !
Belle ironie comme je les aime. Ma carte vitale !
Exit en effet le permis de conduire (et bienvenue la crainte d’un contrôle), exit la carte d’identité (mais bordel où est-elle tombée ?), je ne tiens sur le plan civique et réglementaire qu’à ma carte vitale pour prouver qui je suis si on me le demande. Et encore. Ca ne vaut que parce que ma bobine est dessus. A se demander si un jour on ne va pas me ramener à la frontière.

Une brève histoire de mon épuisement démocratique

L’œil un peu torve, j’ai regardé jusqu’à pas très tard la « soirée électorale » du dimanche 24 avril 2022. Pas tout à fait remis de mon extraordinaire sens civique le mercredi précédent et le « débat » entre les deux intempérants suivi jusqu’au quasiment bout. La société du spectacle en a fait les finalistes d’une « partie » entre deux écrans de pub. Nous y sommes. Ce dimanche soir, cette pensée : Mais ils n’arrêteront donc jamais, me disais-je, moitié exsangue, moitié hagard, alors que les motos filaient le train à des voitures dans Paris et que la scénographie limite indécente d’un homme et d’une femme main dans la main entourés d’enfants se dirigeait vers l’hexagone installé devant la tour Eiffel ? Juste avant, les déchus refusaient de sortir du « JE » et annonçaient que c’était parti pour le troisième tour. A peine étions-nous dans le final du second. L’image qui apparaît à 20 h tout ça. A peine j’ai eu le temps de me remettre de mes deux dernières enveloppes bleues dans l’urne glissées. A peine j’ai eu le temps de seulement commencer à m’apercevoir comme cette campagne ultra-courte, cette séquence comme on dit de nos jours, a été fort beaucoup très trop longue. Telle une irruption incongrue du franco-français dans les décombres ukrainiens ou maliens. Laquelle Ukraine nous avait saisie, bien malgré elle sous l’œil mêlé de Moscou et du cyclone, alors que juste et si peu nous étions en train de nous remettre à redécouvrir des visages humains quand nous sortions dans la rue, après cette autre séquence, sanitaire celle-là (et qui s’apprête apparemment à revenir), et avec, confinements, masques, vaccins, et tout le toutim.
Invisibles sacrifiés, sur le devant de la scène soudain braqués par les projecteurs, mais vite, hein, on va pas s’éterniser non plus, augmentations de salaires ici, promesses d’investissements là.
On a si peu parlé des familles endeuillées. Des anciens partis avant d’avoir tout dit. Des jeunes comprimés par les dernières innovations pédagogiques. Pressurisés à passer en même temps des diplômes et à remplir des formulaires pour leur « avenir ».
Je me disais, « ils » sont dingues, « ils » jouent avec le feu. Alors que ça implose dans les foyers. Que ceux qui ont pas les mots sortent les poings, les flingues, se jettent sous des trains. Faut dire que de l’autre côté de l’Atlantique, twitter et sa mèche blonde allumaient d’autres feux mondiaux, aussi rapidement que chaque matin je me rendais à mon boulot. Tout de suite la suite, encore. Ce quinquennat de Macron 1er, a été épuisant en fait. Malotru.
Je n’oublie pas, en effet, qu’avant cela, déjà pour des histoires de carburant, d’énergie, des femmes et des hommes ont colère exprimé, se retrouvant sur des ronds-points, symboles circulaires du dernier lieu où l’on se parle. Parfaits bouc-émissaires déjà. On en parle encore. Nous sommes en 2018. On a gagné juste avant la Coupe du Monde de foot mais 20 ans après on ne s’est pas attardés. Il était déjà loin, le temps des nuits debout en 2016, éphémère mouvement intello commencé sous l’avant Macron, alors ministre de l’économie. En pleine « loi travail »…
Il m’a échappé comme tout cela narre seulement la suite de ce qui a précédé.
Ces divisions sans fin d’une société morcelée n’en finissant plus de se chercher des convergences et de les voir se diluer aussi sûrement que s’abaisse une matraque, que passe « quand même » une loi, qu’un renoncement en appelle un autre lequel en chasse un précédent.
Eh oui, déjà le tout de suite la suite, qui n’en finit plus de nous saper le quotidien.
Car à mesure qu’on sort d’un truc en mode post-trauma (Les tueries de Toulouse c’est 2012, Charlie-Hebdo et le Bataclan 2015, Nice 2016), hop, on enchaîne, on enchaîne. Et ça oui, c’est sûr, on enchaîne.
Le Quinquennat de Hollande comme celui de Macron a claqué avant même d’avoir commencé. Itou pour leurs prédécesseurs, en fait. Mitterrand a eu 1983, Chirac la cohabitation, Sarko la crise financière. Tabassés dans un coin du ring.
D’ailleurs, durant toutes ces années, on m’a parlé de sécurité, de travail, de pouvoir d’achat, de dette publique, précisément parce que pas, ou plus, ou moins. Et en même temps, comme dit l’autre, « baisses d’impôts » (mais augmentation de la TVA), « service public » démantelé, mais main sur le coeur, notre cher (trop cher ? si cher ?) modèle Français…
Mon épuisement démocratique, c’est cette sensation de pyromanes du futur : justice, éducation, hôpital, université, grand âge. Cette démocratie « à la française », putain putain, elle nous épuise. Car si le SIDA c’est 1981, le choc pétrolier c’est 1973, « L’effondrement du bloc de l’Est » c’est dans les années 1990, la « construction européenne (de 6 à 15 puis à 26) aussi. L’avénement d’internet également. Les attentats à New-York c’est 2001. Chirac et la maison qui brûle en 2002. Le référendum européen en 2005. Putain Putain. Arno, le chanteur Belge, est mort samedi 3 avril et le chante dès 1997. Vous me direz Dutronc et l’opportuniste c’est 1966.
Ici et ainsi narrée, mon anonyme histoire démocratique ressemble à une vaste partie de ball-trap à mesure que les cons-descendants (parfois dans l’arène) parlent à leurs con-patriotes, leurs con-citoyens, au sortir de leurs cons-ciliabules. Pendant que dans mon con-fort je con-tinue à con-templer et à tant bien que mal con-battre.
Con-seil : s’extirper de la torvitude, quelques instants, quelques instants seulement. Qu’on puisse, enfin si vous le permettez, déjeuner en paix. Puisque ça continue. Et qu’il faudra que ça cesse, quand même. Ambiance sonore

Grise est la zone

J’ai une expression qui a débarqué dans ma grammaire et y a pris pleinement sa place, comme d’autres mots ont fleuri notre langage depuis deux ans maintenant. Nous maîtrisons désormais parfaitement les notions de distances sanitaires, de masques, de gestes barrières. Notamment. Voilà autant de mots du quotidien qui décrivent en creux fort bien ce que nous vivons concrètement : un recul sans précédent à l’ère moderne des relations humaines. Ce qu’à gauche on appelle en langue de coton le vivre ensemble. Ce qu’à droite on ne nomme pas. Ce que dans les extrêmes on attise. La nation, en effet, nous demande (ce n’est pas une question bien sûr) de tuer le lien social et les relations humaines. Officiellement pour notre bien évidemment.
Le résultat sec est celui-ci : belle lurette que nous ne faisons plus ni peuple ni société et encore moins monde ; mais bulles étanches les unes des autres, chromosomes dépossédés ou dépourvus de pensées communes et de sens du bien commun. Intérêt général ? Euh ? Hein ?
Personnellement, je ne m’y fais pas. Je fais avec, c’est tout. Je respecte les règles pour pas laisser trop de plumes dans l’atmosphère, sans me prendre pour ce que je ne suis pas. Sans penser une seule seconde, par exemple, que je sais ce que tous les mots médicaux qui bassinent nos tempes veulent dire au juste.
Ce sont des langues étrangères que nous apprenons à baragouiner mais dans lesquelles personnellement je ne m’implique pas.
Cette expression, c’est « zone grise ».
Sais-tu qu’en réalité, c’est en permanence dans ces zones étranges que toi, moi, nous, vous évoluons ? Des zones où tout converge et d’où rien ne sort. Non que les informations et / ou les solutions n’existent pas : il y en a tellement qu’elles finissent par s’annuler les unes avec les autres, se contredisent, se choquent. On y perd notre latin. On y gagne en impuissance.
J’ai sous le coude deux magnifiques zones grises.
La première, c’est l’aberrante situation que fait vivre notre « belle, grande et douce » France à des jeunes venus d’autres pays. Certains arrivent mineurs. Puis prennent de l’âge. Et ce qui était possible et officiel pour elles et eux, vivre en France, survivre plutôt, ne l’est soudainement plus parce qu’ils sont plus de 18 ans et un jour. Alors ils poursuivent, mais dans l’illégalité. Les cons voient qu’ils poursuivent. Les humains que cette illégalité n’a aucun sens soudain. Mais on est dans une zone grise, du Kafka plein pot : faut des papiers, mais je te les donne pas. J’ai besoin que tu aies des papiers pour me prouver que je peux te les donner. En attendant tu es interdit de séjour. Mais on te renvoie pas chez toi.
La seconde, c’est l’incroyable situation suivante : une personne, âgée, disparaît. Il faut attendre. Qu’elle réapparaisse, ou que l’on retrouve son corps. Elle occupait un appartement en location, percevait une retraite, payait des abonnements pour l’eau, l’électricité, la téléphonie, internet. La personne est absente mais on ne peut rien faire puisqu’il faut attendre. 10 ans maximum. Théoriquement, tout peut donc rouler pendant dix ans. La machine fonctionne tranquillement : recettes perçues, dépenses engagées. C’est stupide. Mais il faut attendre. Le déluge ? Qu’un jour, des remboursements soient demandés ? Bienvenue en zone grise !
Alors quoi ?
Restent des combats du quotidien, la solitude de l’enquêteur anonyme, qui plonge dans les informations et le réel comme il peut, cherche des chemins, récolte des tunnels, convaincu que des solutions existent, mais que les problèmes demeurent. Point commun de ces deux zones grises : les parapluies que chacun dresse dans son coin comme des herses à la sensibilité humaine douteuse. Les excuses bidons que les uns et les autres trouvent pour que le ballon aille dans la parcelle du voisin. Et, de l’autre côté, les colères et les incompréhensions qui jonchent des journées devenues à certains moments étranges, à d’autres complètement surnaturels. Car rapidement, on se retrouve plutôt en mode robot à parler avec des robots de barrages en barrages alors que ce sont des situations humaines dont on parle, que notre société a transformé en situations terriblement humaines.
L’insoutenable légèreté de l’être, écrivait l’autre.
Ce qui donne, dans notre monde déconnecté et hyper connecté, terrestre et extraterrestre ceci : L’insoutenable lourdeur à être ou à n’être plus.
Zones grises. Pas grisantes du tout.
Zones grises. Dans lesquelles tout le monde patauge.
Pendant que dans leurs cuisines, des femmes et des hommes pleurent des larmes sèches. Des larmes grises.

Ambiance sonore

Avec tout mon respect

La mienne profession m’offre parfois des moments d’une belle intensité émotionnelle. Ce peut être froid comme une visite officielle ministérielle. Et chaud comme des temps humains qui font pétiller les prunelles. Mardi soir puis jeudi, ce fut le cas.


Mardi soir. Six élus locaux se voient remettre une médaille. 20 ans de mandat pour cinq d’entre eux, l’honorariat pour l’autre.
Les médailles, on s’en fout. Ce qui s’est dit et vécu, on ne s’en fout pas.
Il y avait des yeux brillants, une attention des uns vis-à-vis des autres, des petits-enfants appelés à la rescousse, des phrases de Nelson Mandela, du rire aussi (comment un maire épingle une médaille à son adjointe qui porte robe au plongeant décolleté ?), des jeunes qui disent à leurs anciens comme ils ont su éclairer les boussoles parfois bien embrouillées de l’engagement local, des chemins qui se racontent, des conjointes et des conjoints salués au passage, parce que… sans lui, sans elle…
Cela s’est passé avec masques à visages ouverts dans une mairie, et de ces femmes et hommes politique-là, on n’en parle pas assez.
Surtout, vraiment, ils ne méritent pas ces abstentions et ces amalgames.
L’élu local est une pierre précieuse de l’édifice républicain qui va devenir denrée rare si ce qui ne cesse pas continue.
Unir et rassembler mieux qu’opposer. Débattre et s’engueuler mieux que s’ignorer. Etre présent mieux que laisser le vivre ensemble se narrer derrière des écrans ou pire, se déliter dans le vide, la défiance, le fiel.

Jeudi après-midi. Tout autre décor et en partant ce sentiment que l’on vit tellement dans une société à l’envers que forcément, c’est ceux qui sont exclus qui donnent la leçon. Alors ils n’ont pas les mots, pas les diplômes, n’occupent pas les fonctions les plus prestigieuses, ne se costument pas ni se fardent les paupières, et pour cause : il et elles sont déficients mentaux. Ils vivent et travaillent dans ces lieux de vie qu’on cache derrière des sigles, comme ESAT, ou avant CAT. D’autres mots pour dire pareil, au fond : c’est là qu’ils bossent, quoi. Et ce jeudi, l’association qui se mobilise pour les employer (300 sur ce site l’air de rien !) proposait des binômes entre les uns et nous, les valides comme on dit en parlant du handicap, un peu comme la Province n’existe qu’à Paris. Ils font fi de tout ça. Et la leçon vient de leur joie. De leur bonne humeur. De leur fierté à nous montrer ce qu’ils font, comment. Quel choc quand dans tant d’endroits soit disant « valides », c’est soupe à la grimace et gueule dans le cul !
Comme souvent, il y a des situations où on devrait dire ta gueule. Parce qu’en d’autres situations, on dit simplement merci.
Merci d’être vous.
Merci de m’avoir permis de vous croiser.
Juste quelques heures. Un mardi. Un jeudi.

Un tableau de rien du tout, vraiment ?

En Lorraine, les guerres et leur souvenir ne sont jamais bien loin. C’est ainsi. Elles rôdent ou se rappellent, lorsque des cérémonies par dizaines se tiennent autour des trois conflits qui ont frappé la région entre 1870 et 1945. On appelle un peu trop cela le devoir de mémoire. Je préfère le droit de ne pas oublier…
Des traces, il en reste : dans les sols, les villages, les forêts. Dans les âmes. Même si cela évidemment s’émousse, avec le fil du temps. Parfois, il arrive lors d’une de ces rencontres que quelque chose « de plus » se produise. Une émotion. Une incarnation. Des regards et des poignées de mains pour dire une fraternité durable.

J’ai eu la chance, un samedi après-midi de presque novembre 2021, de me retrouver dans l’un de ces moments qui semblent surgir de nulle part puis posent sur vous une patte de velours.
A la base, la « simple » remise d’un tableau d’un universitaire allemand aujourd’hui âgé de 75 ans à village Lorrain den 104 habitants dont la géographie l’a fait se retrouver il y a 150 ans sur la ligne de front.
Dans les faits, une magnifique humanité qui se dévoile de manière pudique.
C’est bien que quelques jeunes aient été là : cela fait sens de se demander aussi comment, dans 150 ans, nos successeurs évoqueront nos années 2021.

L’universitaire a retrouvé ce tableau par hasard ; c’est une reproduction sans grande valeur mercantile d’une peinture portant comme titre le simple nom du village : Bréménil. A l’invitation du maire, l’universitaire a parcouru les 800 kilomètres séparant Dresde où il habite de la cité martyre située en lisière des Vosges.
Le tableau représente une vue de Bréménil détruit. Il a été peint par un soldat allemand. Heinrich Modge. Puis il a été tiré en de nombreux exemplaires pour trouver place dans de nombreuses maisons en Allemagne. Bréménil était ainsi devenu, sans le savoir, de l’autre côté de la frontière, l’image choc des combats de 1870. Voire le nom de cette guerre.

Ingo Kolboom, universitaire émérite, n’a pas caché son émotion au moment de dévoiler le tableau. Nous non plus.
En Français dans le texte, il a expliqué son travail de recherche autour de ce modeste tableau, et sa joie d’être au coeur de ce village dont il n’a longtemps connu que le nom. Un mot, juste un mot. Puis des images en couleur, des femmes et des hommes aujourd’hui, réunis en fin d’après-midi. Une fraternité affinée par les mots de l’historien :  » Qu’est-ce que les propriétaires d’alors sentaient en le regardant ? Fierté héroïque ? Pitié ? Ou simplement une sensation floue dans la tradition des paysages de ruines romantiques de la peinture du 19ème siècle ? Qui sait ? Comme d’autres reproductions et souvenirs de guerre, ces objets ont fini par disparaître peu à peu. Ce tableau que nous voyons a survécu au grand nettoyage du 20ème siècle. il est devenu un lieu de mémoire particulier et c’est cela sa valeur !« .

« Ce don, explique-t-il aussi, est un hommage à la communauté de Bréménil et un rappel, de la folie que nos peuples se sont infligés et ont infligé à eux-mêmes. Nous sommes réunis aujourd’hui pour commémorer un lieu de mémoire franco-allemand dont le contexte porte un message de longue durée, que le Maréchal Lyautey avait mis dans sa formule : cette guerre, c’est la plus monumentale ânerie que le monde n’ait jamais faite« .
Bréménil s’est trouvé un ami.

On n’en perd pas une miette

C’est en réalité une expérience assez étrange. Spectateur sur le grill à la fin. Cuisiné à feu doux et qui s’en repart la tête pétrie de belles intentions. C’est l’effet « Les mots de la faim », une pièce de théâtre social, jouée par celles et ceux qui ont témoigné pour livrer un repas que même le covid n’a pas su faire tomber de la table. Une pièce (montée) de théâtre créée pour parler de l’accès à l’alimentation pour tous et de la précarité alimentaire, avec les histoires de vie des personnes, par un groupe d’acteurs amateurs qui ont eux-mêmes une expérience de cette précarité.
Disons le tout net : ce spectacle singulier, on n’en perd pas une miette.
Parce qu’il se passe quelque chose.
Quelque chose qui laisse à la fois un creux au ventre et des petites étoiles dans les yeux. Le coeur doré à souhait. Quelque chose qui va au-delà du spectacle, et du théâtre : largement plus qu’inspiré par des faits réels, le moment EST des faits réels. Sur scène, outillés côté recettes théâtrales par des comédiens professionnels, voilà des « invisibles » réunis sous les feux de la rampe qui donnent à manger et à voir.
Ces femmes et ces hommes sont dans la merde. La dèche. La zone.
Comme toi, comme moi, ils sont installés à la cette grande table qu’est la vie, mais eux, comme le dit l’un des acteurs, tout au bout du bout du bout de la table. Loin du festin et du ruissellement. Loin du banquet, ils galèrent pour remplir leurs assiettes. Celles de leurs familles.
De tout cela, ils ne font pas plainte ni manifeste mais mignardises glissées à l’oreille. Rire et chansons en bandoulière.
Leurs mots nous tombent dessus et ce n’est pas la performance artistique qui compte ici. Mais le lien qui se crée : entre eux, avec nous. Pas un hasard si à la fin du spectacle, beaucoup côté salle pensaient « merci ». Pensaient courage, aussi, car il en a fallu pour sortir les mots, apprendre à les dire sur scène, en faire « une histoire » qui n’épargne évidemment rien ni personne. Heureusement l’aide alimentaire. Les jardins partagés. Mais on fait quoi maintenant, demande un spectacteur. On fait quoi, répondent les acteurs. On fait quoi ?
Ce fameux lien dont aime tant dire qu’il se délit comme si c’était une fatalité, le voilà soudain réhabilité.
Leur aventure donne l’impression qu’ils se sont trouvés une « famille ».
Leur partage nous invite et nous convoque à la fois, déposé sur sa nappe éclairée, et la salle salle de théâtre s’en trouve gonflée comme ballon de baudruche.
Les applaudissements sont nourris. La joie s’imprime. Et pourtant, rien n’est cool dans tout ce qui est exprimé.
Galère, « misère », bonne chère, colère…
Les mots de la faim, c’est un plat préparé avec des bouts de chandelle. Une cerise sur le gâteau. Qui se déguste car avant, avant, il y a ces vécus des 12 comédiens, ces mois de confinement où ils n’ont pas lâché le projet, y puisant sûrement quelques épices supplémentaires pour pimenter l’affaire. Un plat de choix pour celles et ceux qui viennent les voir, les entendre et à la fin, échanger avec eux car ils restent sur scène, goinfrés d’énergie et d’adrénaline, pour inviter chacune et chacun à ne pas faire de ce spectacle qu’un spectacle.
Soudain, voilà le public cuisiné sous les regards avides des acteurs.
Bel appétit.

L’art, c’est pas (toujours) du commerce, c’est de l’amour

Une amie artiste musicienne vient de sortir son premier album. A travers elle, je souhaite ici saluer toutes celles et ceux qui s’accrochent avec les dents et le coeur pour nous offrir en partage ce qu’ils sont. Ce n’est pas donné à tout le monde. Ce n’est pas cher payé. Ode aux artistes de l’ombre qui loin des vibrations de l’écume des écrans et des réseaux sèment des pépites en nous disant : je suis vivant. La main tendue. Nous disant : et toi ? Moi ? Bordel, achetez-les ces disques ! Allez-y à leurs concerts ! Et si je pense musique, cela vaut pour tous les autres. Comédiens, danseurs, cinéastes, peintres, photographes, écrivains. C’est pas (toujours) du commerce. C’est (souvent) de l’amour.

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Nous sommes tous des Mirabelles

Novembre 2018 / Décembre 2019.
Aux côtés de la vie qui s’en va

La mère. Puis le père. Ils s’en sont allés. Avec classe, et je ne dis pas ça parce qu’ils furent enseignants avant de bénéficier d’une longue retraite. Des témoins de l’ancien monde, qui ont étudié, travaillé, et qui, retirés des affaires, ont donné de leur temps au bien commun. En pensant un peu plus à eux.
Ils sont partis à mesure que leurs corps les lâchaient, eux qui avaient toute leur tête, comme on dit, même si ce n’est pas tout à fait vrai. Des rides soucieuses en forme de points d’interrogation étaient apparues et, je le perçois maintenant, ces rides disaient les rudes pensées qui avaient fini par s’incruster comme les berges d’un fleuve.
La question du sens de la vie se pose quand on est sur les rives des 80 ans passés.

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