Ironie identitaire

Disons-le très simplement : je suis un blaireau.
De ceux qui perdent assez facilement leurs affaires, explosent leurs téléphones portables, oublient une veste ici, un sac là.
Sans parler des clés.
Je suis un témoin professionnel de cette fameuse sentence : quand on n’a pas de tête, on a des jambes. Alors je marche. Je fais des tours et des détours. J’avance, je reviens sur mes pas, etc. Je m’inconfore, aussi, dans des positions étranges parfois, à la recherche par exemple de mes papiers d’identité, qui se sont fait la malle je ne sais quand.
Cela faisait un moment qu’il me semblait bien que j’avais paumé ces papelards.
De fréquentes recherches dans mes bagnoles, mes poches de manteaux et autres blousons, sous les coussins des canapés, dans divers lieux y compris des improbables en attestent.
C’est au moment d’aller voter pour le premier tour de l’élection présidentielle que le couperet est tombé. Ma seule preuve désormais de mon identité est… ma carte vitale !
Belle ironie comme je les aime. Ma carte vitale !
Exit en effet le permis de conduire (et bienvenue la crainte d’un contrôle), exit la carte d’identité (mais bordel où est-elle tombée ?), je ne tiens sur le plan civique et réglementaire qu’à ma carte vitale pour prouver qui je suis si on me le demande. Et encore. Ca ne vaut que parce que ma bobine est dessus. A se demander si un jour on ne va pas me ramener à la frontière.

Une brève histoire de mon épuisement démocratique

L’œil un peu torve, j’ai regardé jusqu’à pas très tard la « soirée électorale » du dimanche 24 avril 2022. Pas tout à fait remis de mon extraordinaire sens civique le mercredi précédent et le « débat » entre les deux intempérants suivi jusqu’au quasiment bout. La société du spectacle en a fait les finalistes d’une « partie » entre deux écrans de pub. Nous y sommes. Ce dimanche soir, cette pensée : Mais ils n’arrêteront donc jamais, me disais-je, moitié exsangue, moitié hagard, alors que les motos filaient le train à des voitures dans Paris et que la scénographie limite indécente d’un homme et d’une femme main dans la main entourés d’enfants se dirigeait vers l’hexagone installé devant la tour Eiffel ? Juste avant, les déchus refusaient de sortir du « JE » et annonçaient que c’était parti pour le troisième tour. A peine étions-nous dans le final du second. L’image qui apparaît à 20 h tout ça. A peine j’ai eu le temps de me remettre de mes deux dernières enveloppes bleues dans l’urne glissées. A peine j’ai eu le temps de seulement commencer à m’apercevoir comme cette campagne ultra-courte, cette séquence comme on dit de nos jours, a été fort beaucoup très trop longue. Telle une irruption incongrue du franco-français dans les décombres ukrainiens ou maliens. Laquelle Ukraine nous avait saisie, bien malgré elle sous l’œil mêlé de Moscou et du cyclone, alors que juste et si peu nous étions en train de nous remettre à redécouvrir des visages humains quand nous sortions dans la rue, après cette autre séquence, sanitaire celle-là (et qui s’apprête apparemment à revenir), et avec, confinements, masques, vaccins, et tout le toutim.
Invisibles sacrifiés, sur le devant de la scène soudain braqués par les projecteurs, mais vite, hein, on va pas s’éterniser non plus, augmentations de salaires ici, promesses d’investissements là.
On a si peu parlé des familles endeuillées. Des anciens partis avant d’avoir tout dit. Des jeunes comprimés par les dernières innovations pédagogiques. Pressurisés à passer en même temps des diplômes et à remplir des formulaires pour leur « avenir ».
Je me disais, « ils » sont dingues, « ils » jouent avec le feu. Alors que ça implose dans les foyers. Que ceux qui ont pas les mots sortent les poings, les flingues, se jettent sous des trains. Faut dire que de l’autre côté de l’Atlantique, twitter et sa mèche blonde allumaient d’autres feux mondiaux, aussi rapidement que chaque matin je me rendais à mon boulot. Tout de suite la suite, encore. Ce quinquennat de Macron 1er, a été épuisant en fait. Malotru.
Je n’oublie pas, en effet, qu’avant cela, déjà pour des histoires de carburant, d’énergie, des femmes et des hommes ont colère exprimé, se retrouvant sur des ronds-points, symboles circulaires du dernier lieu où l’on se parle. Parfaits bouc-émissaires déjà. On en parle encore. Nous sommes en 2018. On a gagné juste avant la Coupe du Monde de foot mais 20 ans après on ne s’est pas attardés. Il était déjà loin, le temps des nuits debout en 2016, éphémère mouvement intello commencé sous l’avant Macron, alors ministre de l’économie. En pleine « loi travail »…
Il m’a échappé comme tout cela narre seulement la suite de ce qui a précédé.
Ces divisions sans fin d’une société morcelée n’en finissant plus de se chercher des convergences et de les voir se diluer aussi sûrement que s’abaisse une matraque, que passe « quand même » une loi, qu’un renoncement en appelle un autre lequel en chasse un précédent.
Eh oui, déjà le tout de suite la suite, qui n’en finit plus de nous saper le quotidien.
Car à mesure qu’on sort d’un truc en mode post-trauma (Les tueries de Toulouse c’est 2012, Charlie-Hebdo et le Bataclan 2015, Nice 2016), hop, on enchaîne, on enchaîne. Et ça oui, c’est sûr, on enchaîne.
Le Quinquennat de Hollande comme celui de Macron a claqué avant même d’avoir commencé. Itou pour leurs prédécesseurs, en fait. Mitterrand a eu 1983, Chirac la cohabitation, Sarko la crise financière. Tabassés dans un coin du ring.
D’ailleurs, durant toutes ces années, on m’a parlé de sécurité, de travail, de pouvoir d’achat, de dette publique, précisément parce que pas, ou plus, ou moins. Et en même temps, comme dit l’autre, « baisses d’impôts » (mais augmentation de la TVA), « service public » démantelé, mais main sur le coeur, notre cher (trop cher ? si cher ?) modèle Français…
Mon épuisement démocratique, c’est cette sensation de pyromanes du futur : justice, éducation, hôpital, université, grand âge. Cette démocratie « à la française », putain putain, elle nous épuise. Car si le SIDA c’est 1981, le choc pétrolier c’est 1973, « L’effondrement du bloc de l’Est » c’est dans les années 1990, la « construction européenne (de 6 à 15 puis à 26) aussi. L’avénement d’internet également. Les attentats à New-York c’est 2001. Chirac et la maison qui brûle en 2002. Le référendum européen en 2005. Putain Putain. Arno, le chanteur Belge, est mort samedi 3 avril et le chante dès 1997. Vous me direz Dutronc et l’opportuniste c’est 1966.
Ici et ainsi narrée, mon anonyme histoire démocratique ressemble à une vaste partie de ball-trap à mesure que les cons-descendants (parfois dans l’arène) parlent à leurs con-patriotes, leurs con-citoyens, au sortir de leurs cons-ciliabules. Pendant que dans mon con-fort je con-tinue à con-templer et à tant bien que mal con-battre.
Con-seil : s’extirper de la torvitude, quelques instants, quelques instants seulement. Qu’on puisse, enfin si vous le permettez, déjeuner en paix. Puisque ça continue. Et qu’il faudra que ça cesse, quand même. Ambiance sonore

Le vote de l’ours blanc

A quelques encablures maintenant d’une échéance qui ne changera pas grand choses à nos existences, malheureusement, il y a quelque chose de malaisant dans une une campagne épuisée pendant qu’une vraie guerre qui ne dit rien de bon a éclaté près de chez nous, faisant oublier les autres guerres qui ne cessent de se tenir ailleurs, et faisant passer celle menée contre un virus comme une arnaque verbale.
Nos grands dossiers ressemblent soudain plus encore à des petits problèmes pour peu qu’on fasse la liste de ces dossiers traités par-dessus la jambe et qui disent une société française des malaises et des oublis.
Pas une strate de la population n’est épargnée.
Les enfants, les lycéens, les étudiants, les jeunes adultes, les midlle of life, les quinquas, les seniors.
Les « issues et issus » de minorités, les moins riches que d’autres, les abandonnés.
Côté pro, pas mieux : les sans-emplois, les avec, les boites qui trouvent pas de salariés, les métiers de l’aide qui sont au plus mal, les cadres qui pètent des câbles.
Et le caillou bleu, qui est comme nous finalement : puisque ça se réchauffe, d’abord, ça se refroidit. On sait qui sera le plus fort à la fin.

Il fait très froid dans notre démocratie qui en est de moins en moins une à mesure que comme partout, l’impérialisme des hommes force les frontières fragiles des pays qui, ne l’oublions pas, pour certains, ont été tracés à la craie.
A quelques encablures donc d’une élection présidentielle qui cache juste l’élection suivante laquelle donnera à un gouvernement les moyens de mettre ses idées si tenté est que ce soient des idées, je veux juste lancer une alerte.
Ne votez pas pour ces candidats qui prônent le repli sur soi. Ni pour ceux qui annoncent des baisses d’impôts. Ni pour ceux qui parlent économies.

Ils sont des escrocs. Ils sont des fossoyeurs.
Le repli sur soi est un déni de réalité.
Les baisses d’impôts l’assurance d’une cassure plus grande encore de ce qui est de la responsabilité de l’état français : l’éducation, le soin, la justice.
Les économies sont un mot indécent quand sans aller très loin, on regarde qui paie le quoi qu’il en coûte et qui s’est enrichi.

Depuis que je suis en âge de voter, je me suis toujours efforcé de « voter pour ». Je ne vais pas me dérober cette fois encore même si force est de constater que plus ça va et moins je suis dans les bons camps. Il m’est arrivé d’être majoritaire, mais c’était y’a longtemps. Je suis de plus en plus minoritaire, quand on ne me dit pas que je suis nul.  Blanc est pourtant une belle couleur. Un beau projet.

Je pensais ne pas aller voter cette fois. Je pense toujours que je ne devrais pas voter tellement on se fiche de nous et de nos tronches. Je vais pourtant aller voter. Parce qu’au détour d’une baguenaude sur le net, fort à propos, une internaute que les femmes s’étaient battues pour obtenir le droit de vote, et parce que au-delà du féminisme, tout simplement, l’Humain s’est toujours battu pour obtenir des conquêtes sociales dont même les plus virulents profitent sans vergogne, la mémoire bien courte.

Cette élection ne changera pas la face du monde. Cela fait belle lurette que petit pays qui joue au grand ne pèse pas bien lourd. Mais par politesse, à l’histoire, à maintenant, à demain, voter prend un sens qui ne relève plus du « devoir civique » mais bien du droit. Nous avons des droits. Et mon petit doigt me dit qu’il va falloir batailler pour que un à un, ils ne fondent pas comme une banquise aux abois.

Au moment de voter, ou pas, pensez à l’ours blanc qui dérive affamé sur un morceau de glace. Il a faim. Il est seul. Il est dangereux. Il est en survie.     

Grise est la zone

J’ai une expression qui a débarqué dans ma grammaire et y a pris pleinement sa place, comme d’autres mots ont fleuri notre langage depuis deux ans maintenant. Nous maîtrisons désormais parfaitement les notions de distances sanitaires, de masques, de gestes barrières. Notamment. Voilà autant de mots du quotidien qui décrivent en creux fort bien ce que nous vivons concrètement : un recul sans précédent à l’ère moderne des relations humaines. Ce qu’à gauche on appelle en langue de coton le vivre ensemble. Ce qu’à droite on ne nomme pas. Ce que dans les extrêmes on attise. La nation, en effet, nous demande (ce n’est pas une question bien sûr) de tuer le lien social et les relations humaines. Officiellement pour notre bien évidemment.
Le résultat sec est celui-ci : belle lurette que nous ne faisons plus ni peuple ni société et encore moins monde ; mais bulles étanches les unes des autres, chromosomes dépossédés ou dépourvus de pensées communes et de sens du bien commun. Intérêt général ? Euh ? Hein ?
Personnellement, je ne m’y fais pas. Je fais avec, c’est tout. Je respecte les règles pour pas laisser trop de plumes dans l’atmosphère, sans me prendre pour ce que je ne suis pas. Sans penser une seule seconde, par exemple, que je sais ce que tous les mots médicaux qui bassinent nos tempes veulent dire au juste.
Ce sont des langues étrangères que nous apprenons à baragouiner mais dans lesquelles personnellement je ne m’implique pas.
Cette expression, c’est « zone grise ».
Sais-tu qu’en réalité, c’est en permanence dans ces zones étranges que toi, moi, nous, vous évoluons ? Des zones où tout converge et d’où rien ne sort. Non que les informations et / ou les solutions n’existent pas : il y en a tellement qu’elles finissent par s’annuler les unes avec les autres, se contredisent, se choquent. On y perd notre latin. On y gagne en impuissance.
J’ai sous le coude deux magnifiques zones grises.
La première, c’est l’aberrante situation que fait vivre notre « belle, grande et douce » France à des jeunes venus d’autres pays. Certains arrivent mineurs. Puis prennent de l’âge. Et ce qui était possible et officiel pour elles et eux, vivre en France, survivre plutôt, ne l’est soudainement plus parce qu’ils sont plus de 18 ans et un jour. Alors ils poursuivent, mais dans l’illégalité. Les cons voient qu’ils poursuivent. Les humains que cette illégalité n’a aucun sens soudain. Mais on est dans une zone grise, du Kafka plein pot : faut des papiers, mais je te les donne pas. J’ai besoin que tu aies des papiers pour me prouver que je peux te les donner. En attendant tu es interdit de séjour. Mais on te renvoie pas chez toi.
La seconde, c’est l’incroyable situation suivante : une personne, âgée, disparaît. Il faut attendre. Qu’elle réapparaisse, ou que l’on retrouve son corps. Elle occupait un appartement en location, percevait une retraite, payait des abonnements pour l’eau, l’électricité, la téléphonie, internet. La personne est absente mais on ne peut rien faire puisqu’il faut attendre. 10 ans maximum. Théoriquement, tout peut donc rouler pendant dix ans. La machine fonctionne tranquillement : recettes perçues, dépenses engagées. C’est stupide. Mais il faut attendre. Le déluge ? Qu’un jour, des remboursements soient demandés ? Bienvenue en zone grise !
Alors quoi ?
Restent des combats du quotidien, la solitude de l’enquêteur anonyme, qui plonge dans les informations et le réel comme il peut, cherche des chemins, récolte des tunnels, convaincu que des solutions existent, mais que les problèmes demeurent. Point commun de ces deux zones grises : les parapluies que chacun dresse dans son coin comme des herses à la sensibilité humaine douteuse. Les excuses bidons que les uns et les autres trouvent pour que le ballon aille dans la parcelle du voisin. Et, de l’autre côté, les colères et les incompréhensions qui jonchent des journées devenues à certains moments étranges, à d’autres complètement surnaturels. Car rapidement, on se retrouve plutôt en mode robot à parler avec des robots de barrages en barrages alors que ce sont des situations humaines dont on parle, que notre société a transformé en situations terriblement humaines.
L’insoutenable légèreté de l’être, écrivait l’autre.
Ce qui donne, dans notre monde déconnecté et hyper connecté, terrestre et extraterrestre ceci : L’insoutenable lourdeur à être ou à n’être plus.
Zones grises. Pas grisantes du tout.
Zones grises. Dans lesquelles tout le monde patauge.
Pendant que dans leurs cuisines, des femmes et des hommes pleurent des larmes sèches. Des larmes grises.

Ambiance sonore

Avec tout mon respect

La mienne profession m’offre parfois des moments d’une belle intensité émotionnelle. Ce peut être froid comme une visite officielle ministérielle. Et chaud comme des temps humains qui font pétiller les prunelles. Mardi soir puis jeudi, ce fut le cas.


Mardi soir. Six élus locaux se voient remettre une médaille. 20 ans de mandat pour cinq d’entre eux, l’honorariat pour l’autre.
Les médailles, on s’en fout. Ce qui s’est dit et vécu, on ne s’en fout pas.
Il y avait des yeux brillants, une attention des uns vis-à-vis des autres, des petits-enfants appelés à la rescousse, des phrases de Nelson Mandela, du rire aussi (comment un maire épingle une médaille à son adjointe qui porte robe au plongeant décolleté ?), des jeunes qui disent à leurs anciens comme ils ont su éclairer les boussoles parfois bien embrouillées de l’engagement local, des chemins qui se racontent, des conjointes et des conjoints salués au passage, parce que… sans lui, sans elle…
Cela s’est passé avec masques à visages ouverts dans une mairie, et de ces femmes et hommes politique-là, on n’en parle pas assez.
Surtout, vraiment, ils ne méritent pas ces abstentions et ces amalgames.
L’élu local est une pierre précieuse de l’édifice républicain qui va devenir denrée rare si ce qui ne cesse pas continue.
Unir et rassembler mieux qu’opposer. Débattre et s’engueuler mieux que s’ignorer. Etre présent mieux que laisser le vivre ensemble se narrer derrière des écrans ou pire, se déliter dans le vide, la défiance, le fiel.

Jeudi après-midi. Tout autre décor et en partant ce sentiment que l’on vit tellement dans une société à l’envers que forcément, c’est ceux qui sont exclus qui donnent la leçon. Alors ils n’ont pas les mots, pas les diplômes, n’occupent pas les fonctions les plus prestigieuses, ne se costument pas ni se fardent les paupières, et pour cause : il et elles sont déficients mentaux. Ils vivent et travaillent dans ces lieux de vie qu’on cache derrière des sigles, comme ESAT, ou avant CAT. D’autres mots pour dire pareil, au fond : c’est là qu’ils bossent, quoi. Et ce jeudi, l’association qui se mobilise pour les employer (300 sur ce site l’air de rien !) proposait des binômes entre les uns et nous, les valides comme on dit en parlant du handicap, un peu comme la Province n’existe qu’à Paris. Ils font fi de tout ça. Et la leçon vient de leur joie. De leur bonne humeur. De leur fierté à nous montrer ce qu’ils font, comment. Quel choc quand dans tant d’endroits soit disant « valides », c’est soupe à la grimace et gueule dans le cul !
Comme souvent, il y a des situations où on devrait dire ta gueule. Parce qu’en d’autres situations, on dit simplement merci.
Merci d’être vous.
Merci de m’avoir permis de vous croiser.
Juste quelques heures. Un mardi. Un jeudi.

Leurs enfants après eux, 20 ans déjà

Que ça fait du bien ! Un spectacle vivant, si vivant, dans un théâtre aussi ébouriffant que celui « du peuple » situé à Bussang, dans les Vosges !

Voici « Leurs enfants après eux », après nous. Une prouesse tenue à bout de bras par une quinzaine de jeunes acteurs fraîchement émoulus de l’école lyonnaise où ils ont « appris » à devenir comédiennes et comédiens. Un spectacle scénographié et mis en scène par Simon Delétang, qui dirige le fameux théâtre et a offert une belle vitrine à ces jeune, lui qui fut le parrain de leur promo et qui au moment du final, les laissa élégamment recueillir l’intégralité des trombes d’applaudissements qui déferlaient sur eux. Juste retour après tout ce qui nous avait été donné.
Au sortir, beaucoup notaient comme ces actrices et ces acteurs avaient tellement bien incarné les jeunes de ces années 1990 que limite on se serait cru en 2021…
Le début d’une forme d’universalité de l’oeuvre ? Rendez-vous dans 10 ans ? Dans 20 ans ?


Qui a lu le Goncourt du nancéo-vosgien Nicolas Mathieu, avant de poser son popotin sur les bancs en bois du théâtre, s’interrogeait sur comment diantre ce bouquin massif narrant 4 années de la vie de jeunes dans la Lorraine économique sinistrée des années 1990 allait pouvoir être « retranscrit » en mode théâtre ?
Qui plus est avec autant d’actrices et d’acteurs.
Qui plus est en ayant opté pour une fidélité absolue au texte initial et en orientant les choix vers ce qui parle et fait parler ces générations. Des garçons, des filles, des corps qui se frôlent ou plus si affinités. En mode cru.
Ce sont des passages entiers du roman qui sont ainsi clamés et déclamés par des acteurs à qui on n’a pas eu peur de confier des responsabilités.
Le seul en scène, sans bouger, face à un public, faut se le farcir ! La précision des multiples mouvements pour faire bouger l’espace scénique également.
Chacun leur tour, pendant que derrière, comme une chorégraphie, on illustre le propos, ils prennent ainsi la parole. Des mots de jeunes dits par des jeunes à un public parfois décontenancé, parfois amusé, finalement conquis par toute cette énergie transmise. Nous autres les masqués assis devant, forcément, en ces temps singuliers, avons pris bonnes notes de tout cela. Enfin, je l’espère. C’est beau des jeunes qui veulent vivre et c’est triste les bâtons dans les roues.
Pendant un peu plus de 3 h, et avant un final frais comme une victoire klaxonnante de la coupe du monde de football (nous sommes en 1998, Zidane président, on se réconcilie sur fond bleu blanc rouge), eh bien mesdames et messieurs, c’est un déluge. Un joli déluge. Une averse d’été Un ring où les mots fusent, où l’histoire déroule son fil, où le « chant » choral se narre le mot ciselé.
La bande son tient évidemment largement sa place dans le spectacle, sous le panier patibulaire d’un panneau de basket génération oblige.
Ca « décibel » pas mal, dans nos enfants après eux. Et ça sensualise, aussi. On sent moins que dans le bouquin la « société » comment elle va. Mais l’on sent plus que dans les bouquins « ces jeunes » comment ils font.
De la belle ouvrage qui donne envie de les revoir, ces comédiens, de le suivre là où il nous emmène, ce metteur en scène, et de relire le bouquin.
Même si pendant ce temps-là, c’est la culture qu’on assassine.
Dommage car dans la salle, le « théâtre du peuple » tenait bien son rang et dignement son nom.


Jaune

Un rond-point badigeonné de jaune à l’entrée de l’autoroute. Plutôt impressionnant. On y salue la mémoire de Denis, on y dit la volonté de poursuivre le chemin, cinq mois déjà et on discute avec celui qui passe.

Je m’arrête et prend quelques photos. Je suis touché.
Ce « Denis » vient percuter la litanie des agressions/interpellations dont nous bassinent les médias, alimentés comme il se doit par les canaux officiels d’informations.
Ce « Denis » me rappelle comme des femmes et des hommes, depuis de longues semaines maintenant, chaque samedi, et chaque jour pour quelques uns, se battent aussi et, pour certains, non contre, mais pour.

Je m’apprête à repartir quand des gens se dirigent vers moi.
D’autres « Denis ». Ils sont intrigués. Nous nous mettons à discuter. Et ça fait du bien. Du bien de mettre des visages, des regards, des paroles sur ce que notre manie du « on range tout dans des tiroirs » transforme en appellations génériques qui permettent tous les raccourcis, toutes les généraralisatons, toutes les divisions.
Il sont là, ils discutent avec moi, ils déplorent les violences, ils me montrent là où ils ont été tapés, où ils veulent en venir. Une main sur le coeur, pendant que le doigt dénonce : il y a quelque chose de l’ordre de la fierté à penser à ses enfants et petits-enfants. Et à le faire.
Je pourrai dire j’étais là, me dit cette femme.
En attendant, au présent, elle est là.
Et m’en repartant avec mes photos dans l’appareil, je me dis que les Gilets Jaune, pour moi, s’appelleront Denis.
Nommer les gens, c’est le début de la politesse. Un signe d’humanité.
Ne pas les nommer, c’est l’inverse.
Je n’ai pas vu des gilets jaunes, comme à la télé je ne vois pas des forces de l’ordre mais des femmes, des hommes. Une époque difficile. Et je vais laisser aux autres les rictus et les jugements hâtifs.

Un peu plus tard, j’ai entendu à la radio, par hasard, un sociologue évoquant la suite du « mouvement ». Il parlait de temps du commun. De temps de la vie. De rassemblements. De faire société. Et que cela fonctionnait quand chacun comprenait le sens de ce qui est proposé. Certains n’ont visiblement pas compris. Pas forcément ceux auxquels on pense. Alors merci mesdames et messieurs pour cet échange tout simple et si vrai. Humain. Pas commun.

Le jaune dans le coeur

Evidemment, la violence visible est plus facile à capter. On peut la filmer, la prendre en photo, voir des visages qui éructent, etc.
Mais qu’en est-il de la violence invisible ? On fait en ce moment le procès des casseurs, dérive malheureuse et à combattre des citoyens qui par ailleurs se soulèvent eux qui ne votent plus et qui ne croient plus en la rue, alors ils occupent les ronds-points, comme un symbole d’une société qui française qui tourne en rond, et qui à force, ne tourne plus rond. Procès donc. Faut voir comme on nous parle, chantait en précurseur Alain Souchon.
Et si on parlait des autres casseurs aussi ? De leur victimes, plutôt. Invisibles bien sûr.
Combien de « victimes », au-delà des gilets jaunes, dézinguées par leurs entreprises, leurs collectivités, leurs « chef-fe-s », leurs collègues, leurs familles ?

La violence de la société saccage combien de soldats inconnus sans que la mine grave, un président, ses CRS et les médias ne viennent prendre justement des mines graves pour bien nous montrer que c’est pas bien ?
Combien de gens ont sauté par des fenêtres sur leur lieu de travail, ont laissé le pot d’échappement dans leur garage, choisi la corde pour en finir ?
Combien de personnes tournent à coups de cachetons pour « tenir » avec l’absurde « trou de la sécu » pour en rajouter des couches si besoin ?
Combien d’agents hospitaliers, de travailleurs sociaux, de juges, de flics, de médecins, d’infirmières, d’aides à domicile, d’élus, de bénévoles, bref, combien de millions e gens qui se dévouent en France ont un gilet jaune dans le coeur ? Eux qui ont un mal fou à trouver du sens à leurs vies qui pourtant n’en manquent pas ? Combien de jeunes n’y arrivent pas ? Combien de plus de 60 ans n’y arrivent plus ?
Dignité vous dites ? Raisonnable vous dites ?
Indécence je trouve.
Le « peuple » mérite respect. Mais il ne vote plus… Alors il arpente les réseaux sociaux, s’occupe des ronds-points, bien plus patient qu’on ne veut nous le faire croire.
Les rois de la parole publique n’ont pas compris, je crois, que ces gens-là, nous autres, on n’en est plus à tendre les mains comme si elles ne servaient plus qu’à recueillir des aides ou des cadeaux fiscaux, ni à poser des questions, ni à attendre des réponses.
Depuis plus de 40 ans, la douce France s’est endormie et aujourd’hui, cette France se réveille. Et pour entonner le refrain de Véronique Sanson, 40 ans, c’est long c’est court. C’est pas mai 68 qui se profile en 2019 puisque ça ne rime pas. 1789 ça rime. Et si je ne souhaite pas que ça dégouline, le père que je suis et le fils que j’étais en a le sourire des espoirs.
Ces derniers temps, j’avais découvert une forme de honte d’être Français.
Une certaine fierté fait son retour sous mes paupières.
Sans préjuger de rien.
Je vois plein de dignités toutes ces dernières semaines.
Et ça fait du bien même si j’entends aussi, autour de moi, la peur qui s’invite.

Illégitime défonce

J’ai regardé ce lundi soir la « fiction judiciaire » consacrée à « l’affaire Jacqueline Sauvage« . J’ai aimé la sobriété narrative, qui s’est comme effacée pour que l’on puisse se faire une opinion. Le téléfilm pose la question de la légitime défense réponse à l’illégitime défonce mais pas que. Combien de vies volées / violées pour un tyran ? 

Lire la suite