Je suis Lorrain. Made in Lorraine. La mirabelle, la Place Stanislas, le pâté éponyme, le lard, la crème fraîche, la quiche, tout ça, tout ça.
Je suis Lorrain est m’est venue l’autre jour une analyse sur le Lorrain. Le genre de truc improbable que tu sors d’on ne sait où. Je pensais à son côté pessimiste, au Lorrain, le genre qui se projette pas vraiment dans l’avenir, c’était mieux avant, le genre aussi, ce qui faudrait aux jeunes, curieuse alchimie, c’est une bonne guerre dans la tronche. Que n’ai-je entendu cela alors que je jouais aux osselets dans la cour de l’école.
Ce côté « teugnard » comme on dit ici, je le pensais lié au froid l’hiver. A la pluie l’été. Au gris et au foncé des sapins.
Me promenant dans les arcanes de mon passeport généalogique, je me suis dit, à la décharge de mes anciens et de mes présents, qu’on a largement de quoi matière génétique à courber l’échine. A fermer sa gueule, l’épaule voûtée, la ride grimace.
1870 pan une guerre. Les gens se relèvent. Reconstruisent.
1914-1918 pan une guerre. Les gens se relèvent. Reconstruisent.
39-45 pan une guerre. Les gens se relèvent, reconstruisent.
Au fil de toutes ces années, des vies explosées, des paysages atomisés, des victimes par milliers, des villes et des villages à refaire, et à refaire encore.
Sans parler de territoires qui sont un coup là, un coup ici, à y perdre son gaulois.
Il me souvient la grand-mère d’un copain. Dans les années 1980. Elle cachait de la farine, du sucre et du café dans une armoire, sous les draps.
Il me souvient mon grand-père, prisonnier en 39-45, travaux forcés en Allemagne, à qui ile ne fallait pas parler de ce pays même quand Schumacher défonçait Battiston.
Il me souvient ces faits divers de l’été, des gamins qui jouaient dans des champs, des forêts. Il restait des mines, des bombes.
Je suis Lorrain, et je me rends compte qu’on a quelque part ça dans un coin de la caboche, un côté à attendre la prochaine catastrophe, résignés, et faisant face en même temps.
Je trouve du coup le Lorrain courageux et je l’aime pour ça.