En Lorraine, les guerres et leur souvenir ne sont jamais bien loin. C’est ainsi. Elles rôdent ou se rappellent, lorsque des cérémonies par dizaines se tiennent autour des trois conflits qui ont frappé la région entre 1870 et 1945. On appelle un peu trop cela le devoir de mémoire. Je préfère le droit de ne pas oublier…
Des traces, il en reste : dans les sols, les villages, les forêts. Dans les âmes. Même si cela évidemment s’émousse, avec le fil du temps. Parfois, il arrive lors d’une de ces rencontres que quelque chose « de plus » se produise. Une émotion. Une incarnation. Des regards et des poignées de mains pour dire une fraternité durable.
J’ai eu la chance, un samedi après-midi de presque novembre 2021, de me retrouver dans l’un de ces moments qui semblent surgir de nulle part puis posent sur vous une patte de velours.
A la base, la « simple » remise d’un tableau d’un universitaire allemand aujourd’hui âgé de 75 ans à village Lorrain den 104 habitants dont la géographie l’a fait se retrouver il y a 150 ans sur la ligne de front.
Dans les faits, une magnifique humanité qui se dévoile de manière pudique.
C’est bien que quelques jeunes aient été là : cela fait sens de se demander aussi comment, dans 150 ans, nos successeurs évoqueront nos années 2021.
L’universitaire a retrouvé ce tableau par hasard ; c’est une reproduction sans grande valeur mercantile d’une peinture portant comme titre le simple nom du village : Bréménil. A l’invitation du maire, l’universitaire a parcouru les 800 kilomètres séparant Dresde où il habite de la cité martyre située en lisière des Vosges.
Le tableau représente une vue de Bréménil détruit. Il a été peint par un soldat allemand. Heinrich Modge. Puis il a été tiré en de nombreux exemplaires pour trouver place dans de nombreuses maisons en Allemagne. Bréménil était ainsi devenu, sans le savoir, de l’autre côté de la frontière, l’image choc des combats de 1870. Voire le nom de cette guerre.
Ingo Kolboom, universitaire émérite, n’a pas caché son émotion au moment de dévoiler le tableau. Nous non plus.
En Français dans le texte, il a expliqué son travail de recherche autour de ce modeste tableau, et sa joie d’être au coeur de ce village dont il n’a longtemps connu que le nom. Un mot, juste un mot. Puis des images en couleur, des femmes et des hommes aujourd’hui, réunis en fin d’après-midi. Une fraternité affinée par les mots de l’historien : » Qu’est-ce que les propriétaires d’alors sentaient en le regardant ? Fierté héroïque ? Pitié ? Ou simplement une sensation floue dans la tradition des paysages de ruines romantiques de la peinture du 19ème siècle ? Qui sait ? Comme d’autres reproductions et souvenirs de guerre, ces objets ont fini par disparaître peu à peu. Ce tableau que nous voyons a survécu au grand nettoyage du 20ème siècle. il est devenu un lieu de mémoire particulier et c’est cela sa valeur !« .
« Ce don, explique-t-il aussi, est un hommage à la communauté de Bréménil et un rappel, de la folie que nos peuples se sont infligés et ont infligé à eux-mêmes. Nous sommes réunis aujourd’hui pour commémorer un lieu de mémoire franco-allemand dont le contexte porte un message de longue durée, que le Maréchal Lyautey avait mis dans sa formule : cette guerre, c’est la plus monumentale ânerie que le monde n’ait jamais faite« .
Bréménil s’est trouvé un ami.
1870
Le Lorrain profond
Je suis Lorrain. Made in Lorraine. La mirabelle, la Place Stanislas, le pâté éponyme, le lard, la crème fraîche, la quiche, tout ça, tout ça.
Je suis Lorrain est m’est venue l’autre jour une analyse sur le Lorrain. Le genre de truc improbable que tu sors d’on ne sait où. Je pensais à son côté pessimiste, au Lorrain, le genre qui se projette pas vraiment dans l’avenir, c’était mieux avant, le genre aussi, ce qui faudrait aux jeunes, curieuse alchimie, c’est une bonne guerre dans la tronche. Que n’ai-je entendu cela alors que je jouais aux osselets dans la cour de l’école.
Ce côté « teugnard » comme on dit ici, je le pensais lié au froid l’hiver. A la pluie l’été. Au gris et au foncé des sapins.
Me promenant dans les arcanes de mon passeport généalogique, je me suis dit, à la décharge de mes anciens et de mes présents, qu’on a largement de quoi matière génétique à courber l’échine. A fermer sa gueule, l’épaule voûtée, la ride grimace.
1870 pan une guerre. Les gens se relèvent. Reconstruisent.
1914-1918 pan une guerre. Les gens se relèvent. Reconstruisent.
39-45 pan une guerre. Les gens se relèvent, reconstruisent.
Au fil de toutes ces années, des vies explosées, des paysages atomisés, des victimes par milliers, des villes et des villages à refaire, et à refaire encore.
Sans parler de territoires qui sont un coup là, un coup ici, à y perdre son gaulois.
Il me souvient la grand-mère d’un copain. Dans les années 1980. Elle cachait de la farine, du sucre et du café dans une armoire, sous les draps.
Il me souvient mon grand-père, prisonnier en 39-45, travaux forcés en Allemagne, à qui ile ne fallait pas parler de ce pays même quand Schumacher défonçait Battiston.
Il me souvient ces faits divers de l’été, des gamins qui jouaient dans des champs, des forêts. Il restait des mines, des bombes.
Je suis Lorrain, et je me rends compte qu’on a quelque part ça dans un coin de la caboche, un côté à attendre la prochaine catastrophe, résignés, et faisant face en même temps.
Je trouve du coup le Lorrain courageux et je l’aime pour ça.