La naissance d’une cinquième saison

Ainsi donc, elle avait fini par arriver, cette cinquième saison. Il avait fallu de longue semaines de fortes chaleurs pour que s’assèchent les sols et les rivières, que s’effondrent quelques arbres pendant qu’autres brûlaient, certains sans qu’un abruti y soit pour quelque chose.
Ce qui lui avait mis la puce à l’oreille, c’était les feuilles. Mortes. Des branches tombées. Pas toutes du fait de quelques soirs plus électriques, avec forts vents et fortes pluies. Tombées comme des mouches. Comme flinguées en plein vol. Tombées comme des merdes.
C’est en tondant sa pelouse qu’il se rendit compte que la machine était devenue davantage une broyeuse qu’une coupe d’herbe. L’herbe était rare, d’ailleurs, recroquevillée, douloureuse si l’on s’aventurait pied nu. Même les chats si discrets d’ordinaire faisait du scritch scritch. Même les oiseaux.
C’est alors qu’il se rendit compte que nul malédiction derrière tout cela.
Nulle nouveauté.
Tout simplement l’inexorable qui avait fini par arriver et se déposer, à l’instar du flocon quand l’hiver est de rigueur. Le sol craquelé et les feuilles vertes et or, la traînée du soleil au couchant.
Ainsi, diront les livres d’histoire, en ce temps-là, l’humain pénétra dans un monde sans Pluton, planète retirée, sous le regard épaté de Jupiter, et avec cinq saisons : le printemps, l’été, l’étomne, l’automne et l’hiver.
Réunies comme les cinq doigts de la main.

Crocodile

Si le retrouver là fut une incroyable découverte pour les scientifiques et les autorités sanitaires, auxquelles vinrent vite se greffer à mesure que les médias s’en mêlaient foule d’experts de tous poils, rémunérés ou non, lui n’en avait cure et arborait, désormais pour l’éternité, dirait-on, un sourire.
Un sourire en coin.
Un sourire du du juste.
Le sourire de celui qui est arrivé à bon port, avant que toutes ses forces ne finissent par le lâcher. L’histoire ne dit pas où il en était précisément de ce côté-là. Les autopsies ne purent rien expliciter. Message laconique et ironique : arrêt cardiaque. Comme si l’on pouvait mourir autrement. Mais ceci est une autre affaire.
Juste on pouvait penser qu’il était arrivé exténué. Au bout du rouleau. Affamé peut-être. Mais aucune certitude. Et surtout, cet éclat dans l’œil : vif. Un regard à la Joconde, qui semblait suivre vos mouvements. Comme encore vivant.
Ce qu’aucune analyse ne prouvera, ce qu’aucune expertise n’osera évoquer, lui l’a fait au-delà de toute logique si ce n’est la seule qui nous échappe : la mémoire reptilienne.
Si ce spécimen avait pu être équipé d’une balise, les chiffres auraient été ahurissants et l’itinéraire sidérant. Plus de 936 heures de déambulations depuis l’Egypte, la nuit le plus souvent, pour peu à peu retrouver l’endroit précis où tout avait commencé, en Lorraine, une région de France. 155 millions d’années plus tôt.
Difficile d’expliquer pourquoi lui, encore plus complexe d’imaginer ce que vieux pépère a entrepris pour parcourir près de 4 920 kilomètres pendant des semaines et des mois, d’une chaleur l’autre. Ni quelle lubie lui a tapé le ciboulot pour s’élancer.
Quelque part sous sa carapace, ou dans cet œil sans vie où semble luire justement cet indicible sourire, il entreprit un jour sans marche arrière possible cet incroyable périple pour arriver là et y déposer son dernier soupir. Un beau et merveilleux soupir, apparemment.
Celui du devoir accompli. Du meilleure des devoirs : la promesse tenue de soi à soi, et en l’occurrence, de lui à lui.
Des semaines, des mois, à renifler la piste invisible, à se faufiler de fleuve en rivières et de rivières en ruisseau, à avancer encore et encore.
Le crocodile est mort ici à l’été 2022, dans une forêt toute chaude des semaines sans pluie, près de l’étang où la mer serpentait naguère, laissant des traces que tous les archéologues du coin adoraient ausculter. On est animal au sang froid des pays chaud ou on ne l’est pas.

Concert en direct / Chapelle ardente (Catherine Watine)

Elle a pris des risques, Catherine Watine. Alors moi aussi.
Je vous propose une manière étonnante de suivre un concert : par écrit, comme si vous y étiez.
Sauf que c’était le samedi 14 mai . Concert privé avec du public. Voici ce que j’ai noté en direct.


Chez Watine. Dans sa maison. Une ancienne chapelle. Pleine de lumière.
Premier concert depuis sept ans, annonce l’artiste au moment de s’installer devant le piano. Pas n’importe quel piano. Le sien. « Il m’a sauvé » dit-elle. Voilà qu’on le regarde autrement. Elle dit cela après avoir lâché tout à trac les drames survenus dans sa vie ces dernières années.
Elle annonce : ce soir, c’est un test. Je me dis : c’est une messe. Fraternelle. Œcuménique. Amniotique.
Premières notes. Premiers mots. Voix blanche. « La vie c’est un pays étranger« . On est dedans fissa. Doigts velours sur le piano cristallin. Je regarde mes comparses d’un soir. Une cinquantaine de personnes et le silence de celles et ceux qui écoutent en profondeur. Ce silence-là est tout aussi prenant que les chansons déposées par Catherine dans sa tunique colorée.
La voix pose des notes délicates. Il faut noyer le chagrin, attacher ses cris. Un saxo surgit soudain à l’étage, un souffle profond, qui poursuit, qui ponctue, qui prolonge.
On entend alors les respirations. Toutes les respirations. Nous voulons des anges. Volons parmi eux. Les chansons se suivent et Catherine Watine pousse le concert comme on trace sa route dans la roche. Tendre. Il y a des jours, on est maussade. Il faut traverser des avalanches.
L’artiste chante avec émoi avant de laisser la parole au piano. Rt réciproquement. D’un monologue en prologue on passe au dialogue en catalogue.
Nous voici plongés en bord de mer, à dos de dune. Galets et bois flotté.
« Je veux une cabane en verre pour y voir le monde ». Même si ce monde a trop d’adversaires.
Il est temps d’interpeller Albert. Einstein. Le monde s’use quand on le perd, quand les ruisseaux ne vont plus à la mer. Il pleut des mystères. Tout est relatif. Rien n’est résolu. On comprend les nuits sans sommeil, les jours sans fin Par dessus mieux que par dessous surgit la beauté napppe déposée sur la table des invités.De titre en titre, toutfluide. Je hoche la tête. Je me perds avec aisance. L’œil regarde l’immobile, les oreilles entendent les contretemps, et il est digne, cet univers. Il flotte sur nos épaules comme des ailes qui se déploient et montent par dessus les arbres.
Dans cette chapelle, la vie est partout finalement. Par dessus le manque et les absents.
Un olivier dehors dodeline ses branches, on dirait qu’il complice. Ce concert ne pouvait jouir d’aucun autre écrin.
Puis voilà la nuit tombée. On voyage encore et encore. Embarqués au-delà de la vie sans répit sans repos.
On divague aussi près des vagues, vaguement. Le verbe est alerte, les de passes passent d’une âme à l’autre. Watine chante l’instinct de survie. Fait pleuvoir des mots habités qui jouent entre eux pour dire avec la force fragile fébrile agile. Complainte qui jamais ne se plaint.
Et puis déjà, c’est la dernière chanson.
 » J’écris des secrets sur les murs. Je garde la maison « .
Comme un bateau vogue sur l’eau, à l’ombre des cascades et des fontaines. Les artistes sont des explorateurs.

La paire de jumelles

C’est une histoire méconnue. Deux jeunes filles, deux jeunes femmes. Victimes de leur prénom. Deux jumelles qui ont longtemps fait la paire et qui se sont évertuées à tout bien suivre la ligne tracée. Leur destin déposé dans le berceau. Biberonné. Bonne terre : deux grosses têtes, comme on dit dans les cours d’écoles. Route tracée. Tresses et regards clairs. En double.
Le collège avalé, le lycée dévoré. Haut les mains. Fastoche.
L’une a fort logiquement choisi l’institut national de l’audiovisuel.
L’autre s’est évidemment tournée vers l’école nationale de l’administration. Montèrent à Paris, pas question qu’elles fussent séparées. 7 bornes par la rue Lecourbe, 1 appartement cossu déniché rue des Favorites : la montée vers la capitale fut comme tout le reste depuis qu’elles ouvrirent les yeux sur ce vaste monde. Menée la main ferme, sans anicroches, avec le Café des écrivains comme QG, la médiathèque Marguerite-Yourcenar à proximité.
Oui, tout roule, sans embuches, elles foncent, telles robots.
Et puis clac.
Boum.
Nul ne sait comment ni qui a fracassé le chemin écrit d’avance. L’une ? L’autre ? L’histoire retient seulement qu’un matin de mars, l’une a dit à l’autre, je n’y vais pas, ce matin. L’autre a dit à l’une : moi non plus. Elles se sont reconfinées elles qui avaient si aisément franchi les obstacles jusque là. Passant jours sur canapé, survêtement et t-shirts qui baillent. Deux jumelles aux yeux mi-clos. Qui passent les jours et les semaines. Portables vidés, amorphes, laissés quelque part dans l’appartement de la rue des Favorites. La porte fermée aux insistances.
Il a fallu le serrurier et la police.
Il a fallu ouvrir pour entrer et essuyer l’attaque suave des mauvaises odeurs.
Il a fallu ouvrir les fenêtres et fouiller (rapidement) les deux chambres, la pièce commune, la cuisine, la salle de bains.
Il a fallu escalader monticules de vêtements et de livres, de nourritures et de mouches. Cafards aussi. Déboulés d’on ne sait où. Ni vues, ni connues, les deux jumelles s’étaient volatilisées.
L’on confirma, tant à l’institut qu’à l’école nationale.
L’on confirma, tant au café qu’à la médiathèque, et même au Deuz Restaurant, où elles se rendaient à chaque fin de trimestre.
L’on pleura en pays natal, père, mère, bras ballants, cernes sous les yeux.
L’on esquissa mille et une explications comme autant de théories branlantes ne reposant sur rien.
L’on déclara la double déclaration, la double disparition. L’on médiatisa. L’on se passionna pour ce que les médias appelèrent le mystère des jumelles.
L’on ne pensa pas, à regarder du côté de l’état civil.
Ni à consulter du côté du bar des Timbrés, et ses savoureux cocktails.
L’on ne de se douta de rien. L’on ne pensa pas ce que l’on disât à tous bouts de champs. Qu’elles étaient belles et intelligentes, très. Qu’elles étaient inséparables. Tant qu’on ne leur connaissait ni amis, petits ou grands, ni amies.
Lena et Lina avaient fini par haïr leurs prénoms.
Lena l’école de l’administration.
Lina l’institut national de l’audiovisuel.
Une lente désagrégation qui avait fomenté en elles sans que l’une ne le dise à l’autre, sans que l’autre n’ose en parle à l’une, chacune sentant chez l’autre qu’un truc clochait. Jusqu’à ce que ce matin-là.
Plusieurs semaines s’étaient écoulées avant qu’elles n’aillent à la mairie de la rue Péclet. 600 mètres à pied. 600 mètres pour y rencontrer l’étrange attelage qui tenait le service municipal.
Deux soeurs jumelles.
Les quatre firent l’affaire.
L’une et l’autre promirent aux autres de ne piper mot.
L’une et l’autre retournèrent à l’appartement, le temps que les papiers arrivent. Puis ils arrivèrent.
Elles avaient changé de prénoms, bien sûr. Et aussi de nom. Tant qu’à faire avaient dit les deux mères de la mairie qui avaient volontiers donné les leurs, ceux de jeune fille.
Elles avaient ouvert de nouveaux comptes bancaires, procédé à de savants retraits et dépôts, laissé les parents payer les factures, amusées que tout puisse à ce point tourner tout seul sans elles.
Elles purent facilement devenir invisibles. Et danser en silence dans l’appartement inconnu qu’elles avaient loué en pleine campagne.
L’une avait toujours rêvé de faire du cirque et l’autre de s’occuper d’animaux. Elles y travaillèrent, avec la patience des orfèvre.
L’une et l’autre avaient toujours eu envie de voyager.
Elles ont pris la route pour quitter tout ce cirque et ce bal des animaux.

Dans la librairie

Où s’en vont les souvenirs demande l’écrivain à Albert, qui hausse à peine un sourcil en voyant dans sa main l’ouvrage déposé par la libraire.
Il sait, lui, où s’en vont les souvenirs.
Il sait, surtout, qu’ils ne s’en vont pas. Puisque ce sont des souvenirs.
Il frémit toutefois , immergé comme à chaque fois, dans la question qu’il ne se serait jamais posée s’il n’était entré dans la boutique ; c’était d’ailleurs pour cela qu’il y était entré, une fois, par hasard – il pleuvait, et depuis, pour cela qu’il y venait de temps en temps, quand ses souvenirs épuisés appelaient d’autres idées. D’autres envies. D’autres mots. Et cette voix.
Il ne sait pas lire, Albert et c’est la libraire, Camille il l’appelle sans que jamais il ait eu l’idée de lui demander son prénom, qui lui lisait le titre.
La fois d’avant, c’était Le bonheur est au fond du couloir à gauche.
Albert aimait bien les ongles rouges de Camille, et les mots étranges qu’elle murmurait en lui glissant l’objet entre les mains, la voix soudain plus rugueuse, comme si elle lui révélait un secret.
Cette fois-là, il était rentré chez lui en cherchant le radiateur. Le couloir. Le bonheur. Il n’avait rien trouvé. Sa mère lui avait assez dit que le bonheur, c’était de la foutaise, une invention de tous ces crétins, sans jamais préciser qui ils étaient au juste, ces crétins. Elle était morte comme ça, clac, d’un coup, et il était fort possible que depuis, Albert cherche ces crétins.
La librairie était devenu un jardin, pour lui. Un endroit où une clochette puis un bruit de bois vous accueillait, de la musique classique toute douce en fond, la libraire et ses yeux par dessus ses lunettes. Un endroit où il venait cueillir des mots, des pensées saugrenues, en tout cas qu’il ne serait pas allé piocher de lui-même.

Photo de Korhan Erdol sur Pexels.com

Poussière de pantins

Elle dit, Finalement,une vie, c’est pas grand chose.
Ta gueule, il pense. Ou alors ouvre les yeux. Les oreilles. Les narines. Sors de ton « moi je ».
Elle raconte. Ces dernières années qui ne sauraient résumer toutes celles d’avant. L’âpreté du vieillir. La solitude qui peu à peu rend âcre et morose quand au mieux tout va bien.
Il pense, alors ne résume pas. Justement. Ne résume pas. Au contraire : élargit ton champ, et le mien. Cueille l’horizon : il ne fait pas nuit.
Elle évoque. Quelques unes de ces années d’avant. Pas celles de l’autre. Non, les siennes. Ses souvenirs à elle. Grâce à la personne de la vie qui n’est pas grand chose.
Ben alors, faut savoir, il pense. C’est beaucoup, déjà, ce que tu racontes.
Plus encore si l’on songe à l’époque à laquelle cela s’est passé. C’était couillu.
Et encore plus si l’on pense que des enfants comme toi, à l’époque, puis les années suivantes, la vie qui ne vaut pas grand chose en a accueilli comme toi trente, quarante, cinquante.
Elle continue de parler. Partie dans ses méandres.
Il est surpris, encore et toujours ; que l’on puisse ainsi dire des choses qui expriment l’exact contraire de ce qui est en train d’être dit. Comme si les mots devaient tromper leur monde. Par inadvertance. Ou par effraction. Bandits de petits chemins. Ces vieux poncifs sont si essorés qui ressemblent à des pantins de poussière.
C’est un samedi d’hiver en presque février en Lorraine.
Ciel bas et ciel blanc. Vent. Il fait froid.
60, 70 personnes sont venues. Habiter un peu le silence qui a pris la poudre d’escampette. Prendre de la seule chaleur qui vaut : celles des femmes et des hommes qui donnent, partagent, reçoivent, écoutent, pleurent, serrent les doigts, lisent quelques mots. Pour rappeler comme chaque vie, chaque vie, est unique dans son coin de territoire et comme chacune, chacun essaime à sa mesure.
C’est beaucoup, une vie.

Plouf

[AUTO MOQUERIE]
Parce qu’aussi, savoir des choses rire, et parce qu’on est dimanche, je viens à confesse. Comme on dit en Lorraine, la #chouffe (et ce n’est pas de la bière).

Connaissez-vous l’histoire de ce type en bottes et au bonnet bleu qui longe la rivière un samedi après-midi ?Non ? Alors imaginez ! Par exemple, vous êtes là-bas, et vous le voyez faire. Tendez-bien l’oreille : parfois vous l’entendrez gueuler comme putois.Ce type donc a tourné à droite près du petit pont. Il est descendu le long de l’eau. Puis il a suivi le cours. Le cours d’eau. Il a fait au bon vouloir de la berge et des ronces, il a chancelé sur des cailloux instables, il est monté, redescendu, il s’est emmêlé dans des ronces et des branches, perdant lunettes et bonnet, remettant lunettes et bonnet, poursuivant avec acharnement son étrange chemin. Sa traque. Son guet. Il a pris un bâton et il tape les ronces, les branches hirsutes, il sonde l’eau. Il est étrange, ce bonhomme, il apparaît ici, surgit là, méthodique malgré les apparences. Il engueule les pompiers quand il passe sous leurs locaux, merde, vous faites chier les gars, venez, vous savez mieux que moi, vous !Il engueule les ronces. Les pierres. Les branches. Les troncs.Soudain, paf ! Il se viande. Il tombe cul dans l’eau. Vous ne pouvez faire autrement que de sourire. De rire. Vous ne le savez pas encore mais ceci n’est qu’une anicroche, une broutille. Le type se relève, l’eau est froide, elle est entrée dans les bottes, ça fait plouitch plouitch maintenant. Parfois il prend son téléphone portable. Il prend une ou deux photos Vous vous dites il est dingue ce mec. Puis voilà qu’il disparaît de votre vue, longtemps, il longe d’autres parterres, croise des personnes interloquées, traverse une barre d’immeuble son bâton à la main en faisant plouic ploc, et le revoilà, il vous surprend quand même car il attaque l’autre rive. Après le pont, à droite toujours. Il scrute. Il avance. Recule, prend un autre chemin, avance, tape des ronces, chancelle sur des pierres. Presque 2 h que le manège dure et vous ne le savez pas car le meilleur est à venir. Votre patience est récompensée. Là-bas, un amas de branches et de troncs, il s’avance, il scrute, il monte sur un arbre, se penche, regarde et là le gadin de chez gadin, cul par dessus tête, le type se vautre comme une merde dans la flotte, le tronc a lâché et pisse quelques grammes de sciure, pendant que le mec se relève, et à votre grand étonnement, oui, à votre grand étonnement, pendant que vous le devinez douché pour le coup, glacé, violet, eh ben lui il se marre aussi. Il rigole. Il regrette presque la scène n’ait pas été gardée pour la postérité. Il rigole parce qu’à cet instant précis, son téléphone sonne ! Ce gadin dans l’eau, mes amies et mis, c’est cadeau !
Oui, rions des choses graves aussi. 🙂

Les vieux, les vieilles

Peu à peu, tout avait fini par devenir invivable.
Ce monde-là. Ce quotidien, chaque jour remis sur l’ouvrage.
Il en fallait, des clopes et des apéros du soir, des ballons de rouge et des pilules de couleurs, les lectures et des musiques, des journaux et des émissions comme autant de rendez-vous pour que tout cela fût à peu près supportable. A peu près seulement.
Puisqu’un jour, ça ne l’est plus.
Il est alors temps de voguer vers d’autres cieux. D’arpenter d’autres rives. Et il n’est rien à redire à cela.
Que sait-on des fins de vies pour celles et ceux qui ont empilé les décennies, à qui le pas devient plus lourd, l’ouïe plus retorse, la vue moins perçante ? Ces femmes et ces hommes dont l’univers se rétrécit comme fond la banquise ? Dans une solitude que pudiquement la société nomme « isolement ». Un pudiquement brutal puisque jamais, de nos jours, on ne leur dit qu’ils sont une richesse. Puisque sans cesse on leur fait comprendre par mille et un sentiers qu’ils sont un poids. Un coût. Un pousse-toi de là. Un espace réduit.
Il me souvient, le jardin de mon père, si grand naguère, et si petit à la fin. Tellement petit que c’en était tout de même épatant de sentir qu’il en restait le maître. Qu’il y avait acceptation et que c’était choix que de centaines de mètres carrés, il passa à quelques mètres tout au plus ce « jardin » à cultiver. Largement suffisants, ces quelques mètres et même déjà presque trop.
Il me souvient les grandes maisons qui finissent par devenir trop grandes pour celles et ceux à quelques pièces suffisent. Comment ne pas songer, une fois encore, aux mots universels de Jacques Brel, le tic tac agaçant de la pendule qui dit oui, qui dit non, et puis qui un jour dit non, ou dit oui.
Le rythme lent du phrasé et de la chanson comme pour souligner plus fort encore l’écart qui n’en finit pas de se creuser avec ce qu’il se passe  » au dehors » pendant que elles et eux dedans. Enfermés chez eux dans l’hystéro-société qui ne leur apporte plus grand chose d’apaisant, bien au contraire.
Les vies parties de ceux d’avant qu’ils fréquentent encore en pensée, et les vies pleines de ceux d’après, qu’ils ne fréquentent plus vraiment.
Les géographies ne sont plus ce qu’elles étaient.
Les technologies non plus.
Les vieilles et les vieux sont là. Nombreuses et nombreux. Et pourtant mis sur le côté. Sources de culpabilités quand est venu pour elles et eux le moment de s’en aller, dans un univers médicalisé ou non. La lassitude de peser tant. Aux grands traits ont succédé des pointillés. Des points de suspensions.
Et c’est ainsi. Et c’est comme ça.
Et c’est couci. Et c’est couça.