Si le retrouver là fut une incroyable découverte pour les scientifiques et les autorités sanitaires, auxquelles vinrent vite se greffer à mesure que les médias s’en mêlaient foule d’experts de tous poils, rémunérés ou non, lui n’en avait cure et arborait, désormais pour l’éternité, dirait-on, un sourire.
Un sourire en coin.
Un sourire du du juste.
Le sourire de celui qui est arrivé à bon port, avant que toutes ses forces ne finissent par le lâcher. L’histoire ne dit pas où il en était précisément de ce côté-là. Les autopsies ne purent rien expliciter. Message laconique et ironique : arrêt cardiaque. Comme si l’on pouvait mourir autrement. Mais ceci est une autre affaire.
Juste on pouvait penser qu’il était arrivé exténué. Au bout du rouleau. Affamé peut-être. Mais aucune certitude. Et surtout, cet éclat dans l’œil : vif. Un regard à la Joconde, qui semblait suivre vos mouvements. Comme encore vivant.
Ce qu’aucune analyse ne prouvera, ce qu’aucune expertise n’osera évoquer, lui l’a fait au-delà de toute logique si ce n’est la seule qui nous échappe : la mémoire reptilienne.
Si ce spécimen avait pu être équipé d’une balise, les chiffres auraient été ahurissants et l’itinéraire sidérant. Plus de 936 heures de déambulations depuis l’Egypte, la nuit le plus souvent, pour peu à peu retrouver l’endroit précis où tout avait commencé, en Lorraine, une région de France. 155 millions d’années plus tôt.
Difficile d’expliquer pourquoi lui, encore plus complexe d’imaginer ce que vieux pépère a entrepris pour parcourir près de 4 920 kilomètres pendant des semaines et des mois, d’une chaleur l’autre. Ni quelle lubie lui a tapé le ciboulot pour s’élancer.
Quelque part sous sa carapace, ou dans cet œil sans vie où semble luire justement cet indicible sourire, il entreprit un jour sans marche arrière possible cet incroyable périple pour arriver là et y déposer son dernier soupir. Un beau et merveilleux soupir, apparemment.
Celui du devoir accompli. Du meilleure des devoirs : la promesse tenue de soi à soi, et en l’occurrence, de lui à lui.
Des semaines, des mois, à renifler la piste invisible, à se faufiler de fleuve en rivières et de rivières en ruisseau, à avancer encore et encore.
Le crocodile est mort ici à l’été 2022, dans une forêt toute chaude des semaines sans pluie, près de l’étang où la mer serpentait naguère, laissant des traces que tous les archéologues du coin adoraient ausculter. On est animal au sang froid des pays chaud ou on ne l’est pas.