Peu à peu, tout avait fini par devenir invivable.
Ce monde-là. Ce quotidien, chaque jour remis sur l’ouvrage.
Il en fallait, des clopes et des apéros du soir, des ballons de rouge et des pilules de couleurs, les lectures et des musiques, des journaux et des émissions comme autant de rendez-vous pour que tout cela fût à peu près supportable. A peu près seulement.
Puisqu’un jour, ça ne l’est plus.
Il est alors temps de voguer vers d’autres cieux. D’arpenter d’autres rives. Et il n’est rien à redire à cela.
Que sait-on des fins de vies pour celles et ceux qui ont empilé les décennies, à qui le pas devient plus lourd, l’ouïe plus retorse, la vue moins perçante ? Ces femmes et ces hommes dont l’univers se rétrécit comme fond la banquise ? Dans une solitude que pudiquement la société nomme « isolement ». Un pudiquement brutal puisque jamais, de nos jours, on ne leur dit qu’ils sont une richesse. Puisque sans cesse on leur fait comprendre par mille et un sentiers qu’ils sont un poids. Un coût. Un pousse-toi de là. Un espace réduit.
Il me souvient, le jardin de mon père, si grand naguère, et si petit à la fin. Tellement petit que c’en était tout de même épatant de sentir qu’il en restait le maître. Qu’il y avait acceptation et que c’était choix que de centaines de mètres carrés, il passa à quelques mètres tout au plus ce « jardin » à cultiver. Largement suffisants, ces quelques mètres et même déjà presque trop.
Il me souvient les grandes maisons qui finissent par devenir trop grandes pour celles et ceux à quelques pièces suffisent. Comment ne pas songer, une fois encore, aux mots universels de Jacques Brel, le tic tac agaçant de la pendule qui dit oui, qui dit non, et puis qui un jour dit non, ou dit oui.
Le rythme lent du phrasé et de la chanson comme pour souligner plus fort encore l’écart qui n’en finit pas de se creuser avec ce qu’il se passe » au dehors » pendant que elles et eux dedans. Enfermés chez eux dans l’hystéro-société qui ne leur apporte plus grand chose d’apaisant, bien au contraire.
Les vies parties de ceux d’avant qu’ils fréquentent encore en pensée, et les vies pleines de ceux d’après, qu’ils ne fréquentent plus vraiment.
Les géographies ne sont plus ce qu’elles étaient.
Les technologies non plus.
Les vieilles et les vieux sont là. Nombreuses et nombreux. Et pourtant mis sur le côté. Sources de culpabilités quand est venu pour elles et eux le moment de s’en aller, dans un univers médicalisé ou non. La lassitude de peser tant. Aux grands traits ont succédé des pointillés. Des points de suspensions.
Et c’est ainsi. Et c’est comme ça.
Et c’est couci. Et c’est couça.