Est-ce que les yeux humides d’un grand-père et d’un chef de gare qui voient s’en aller la dernière Micheline et s’installer le premier composteur automatique peuvent expliquer une sensibilité et des valeurs ? Déclencher, quand on est enfant, et que l’on ne comprend pas tout mais que l’on sent que quelque chose d’important se passe ?
Est-ce que ces dizaines d’ouvriers qui attendent le matin dans la nuit de l’hiver le car qui viendra les déposer à l’usine puis un peu après, l’usine fermer, déversant dans le village le mot chômage, peuvent expliquer une sensibilité et des valeurs ? Déclencher, quand on est enfant, et que l’on ne comprend pas tout, le sentiment que quelque chose d’important se passe ?
Est-ce que sous la pluie et le froid, chanter la Marseillaise et le Vol noir des corbeaux ami entends-tu peuvent expliquer une sensibilité et des valeurs, surtout quand c’est ton père qui donne de la voix et du piano devant le monument y compris sous la pluie ? Déclencher, quand on est enfant, et que l’on ne comprend pas tout, le sentiment que quelque chose d’important se passe et que les jours fériés ont un sens ?
Est-ce que ce travailleur venu d’Algérie, le premier du village à l’époque, qui sourit malgré les quolibets qui semblent, mais semblent seulement, lui passer au-dessus de la tête peuvent expliquer une sensibilité et des valeurs ?
Des vertus ?
Une morale ?
Je crois bien.
Les injustices vues de loin ne valent pas celles ressenties de près ; et pourtant, il me semble qu’au final, elles ont une même intensité ? Un même vocabulaire.
L’enfant qui ne comprend pas tout, devenu adulte, continue de ne pas tout comprendre.
Mais le jardin est semé.
Surtout quand dans ce coin de France de l’Est, deux cimetières se font face et se tiennent en respect, bien après les fusils. Un allemand et un français.
Surtout quand dans cette cambrousse, il y a eu des adultes qui n’ont eu de cesse de transmettre à des plus jeunes. Hors l’instruction scolaire s’entend.
Le plaisir de l’ensemble, le goût de l’effort, la confiance des initiatives.
J’ai de la chance.
Tant de mercis coulent à mes oreilles.
(billet inspiré par la lecture de cet article)