On n’en perd pas une miette

C’est en réalité une expérience assez étrange. Spectateur sur le grill à la fin. Cuisiné à feu doux et qui s’en repart la tête pétrie de belles intentions. C’est l’effet « Les mots de la faim », une pièce de théâtre social, jouée par celles et ceux qui ont témoigné pour livrer un repas que même le covid n’a pas su faire tomber de la table. Une pièce (montée) de théâtre créée pour parler de l’accès à l’alimentation pour tous et de la précarité alimentaire, avec les histoires de vie des personnes, par un groupe d’acteurs amateurs qui ont eux-mêmes une expérience de cette précarité.
Disons le tout net : ce spectacle singulier, on n’en perd pas une miette.
Parce qu’il se passe quelque chose.
Quelque chose qui laisse à la fois un creux au ventre et des petites étoiles dans les yeux. Le coeur doré à souhait. Quelque chose qui va au-delà du spectacle, et du théâtre : largement plus qu’inspiré par des faits réels, le moment EST des faits réels. Sur scène, outillés côté recettes théâtrales par des comédiens professionnels, voilà des « invisibles » réunis sous les feux de la rampe qui donnent à manger et à voir.
Ces femmes et ces hommes sont dans la merde. La dèche. La zone.
Comme toi, comme moi, ils sont installés à la cette grande table qu’est la vie, mais eux, comme le dit l’un des acteurs, tout au bout du bout du bout de la table. Loin du festin et du ruissellement. Loin du banquet, ils galèrent pour remplir leurs assiettes. Celles de leurs familles.
De tout cela, ils ne font pas plainte ni manifeste mais mignardises glissées à l’oreille. Rire et chansons en bandoulière.
Leurs mots nous tombent dessus et ce n’est pas la performance artistique qui compte ici. Mais le lien qui se crée : entre eux, avec nous. Pas un hasard si à la fin du spectacle, beaucoup côté salle pensaient « merci ». Pensaient courage, aussi, car il en a fallu pour sortir les mots, apprendre à les dire sur scène, en faire « une histoire » qui n’épargne évidemment rien ni personne. Heureusement l’aide alimentaire. Les jardins partagés. Mais on fait quoi maintenant, demande un spectacteur. On fait quoi, répondent les acteurs. On fait quoi ?
Ce fameux lien dont aime tant dire qu’il se délit comme si c’était une fatalité, le voilà soudain réhabilité.
Leur aventure donne l’impression qu’ils se sont trouvés une « famille ».
Leur partage nous invite et nous convoque à la fois, déposé sur sa nappe éclairée, et la salle salle de théâtre s’en trouve gonflée comme ballon de baudruche.
Les applaudissements sont nourris. La joie s’imprime. Et pourtant, rien n’est cool dans tout ce qui est exprimé.
Galère, « misère », bonne chère, colère…
Les mots de la faim, c’est un plat préparé avec des bouts de chandelle. Une cerise sur le gâteau. Qui se déguste car avant, avant, il y a ces vécus des 12 comédiens, ces mois de confinement où ils n’ont pas lâché le projet, y puisant sûrement quelques épices supplémentaires pour pimenter l’affaire. Un plat de choix pour celles et ceux qui viennent les voir, les entendre et à la fin, échanger avec eux car ils restent sur scène, goinfrés d’énergie et d’adrénaline, pour inviter chacune et chacun à ne pas faire de ce spectacle qu’un spectacle.
Soudain, voilà le public cuisiné sous les regards avides des acteurs.
Bel appétit.

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