C’est arrivé assez curieusement. Enfin, non, ce n’est pas ce que je veux dire : c’est arrivé bizarrement. Dabord ce son, ce bruit, auquel je n’ai pas spécialement prêté attention.
Le premier confinement tirait à sa fin. 2020 au milieu. Mais c’est surtout lors du second que c’est passé à la vitesse supérieure. Il n’était plus question de feindre l’ignorance.
Là, j’ai commencé à m’inquiéter, de manière sourde, comme on s’inquiète de certaines choses parfois, quand on s’inquiète et que l’on ne sait ni pourquoi ni comment. De ces inquiétudes dont on ne sait que faire. Surtout qu’en parallèle, a surgi l’odeur. Lancinante. Têtue.
Puis ce fut cette autre alerte sonore.
ET là, pfuuuiiiit. L’ordinateur a littéralement fondu. De la fumée s’est échappée de je ne sais où dessous lui, et il s’est comme recroquevillé sur lui-même, jusqu’à devenir aussi racorni qu’une braise toute molle.
J’étais soufflé. Sidéré.
J’ai bien sûr contacté mon réparateur, il est venu, il a froncé les sourcils, il m’a demandé s’il pouvait prendre la météorite, parce que ça ressemble à une météorite, il a précisé, on dit comme ça dans le métier, c’est manière de dire que l’on ne comprend pas, qu’il y a un côté comme venu d’un autre monde, voyez. Je ne voyais pas. Du tout. Les oreilles bourdonnantes. le nez plissé. Mon ordinateur comme une crotte. Alors va pour la météorite. Je regarde, j’essaie d’extraire les données que je peux, il me dit, et je vous tiens au courant.
J’avoue : il est parti et je me suis demandé ce que j’étais exactement en train de vivre. Je regardais les câbles qui avaient fondu aussi et j’avais cette étrange crispation quand je regardais l’emplacement de feu l’ordi. Aucune trace. Rien. Même pas du noirci. Comme s’il n’avait jamais été là.
Chez le réparateur, ça carburait par contre. Il avait alerté tout son réseau. Et ça bossait dur, aux quatre coins du mystère. J’ai appris que je n’étais pas le premier à qui c’était arrivé. Alors ça cliquait, ça cryptait, ça décryptait, presque ils avaient eux aussi les oreilles qui fument.
ET ce pendant ce qui m’a semblé durer des jours, alors que ce ne furent que quelques heures, de ces heures qui flottent et se jouent des fuseaux horaires.
C’est après ce dernier échange via l’Australie qu’hilare, excité, ereinté, bref complètement cinglé, que mon geek m’a rappelé en gueulant eureka, putain on a trouvé, putain on s’en doutait.J’attendais pour ma part qu’il se calme, qu’ils soient un peu moins en même temps dans son cerveau, ce qui a fini par arriver. Il s’est lancé dans une longue explication, technique à souhait, incompréhensible bien sûr, le vibrato joyeux. Jusqu’à je le coupe en deux. Je comprends rien, j’ai dit. Il se passe quoi.
– C’est le covid, il a résumé.
– Quoi, c’est le covid ? Mon ordinateur a attrapé le covid ? C’est une blague ?
– Non, il a pas attrapé le covid, bien sûr. Quoi que.
– Quoi quoi que ?
– Ben d’une certaine manière on pourrait dire que si. Mais d’une autre manière, non. Voyez, quoi. En fait, c’est simple : on pourrait dire, on pourrait hein, c’est façon de parler, c’est pour que vous compreniez, on pourrait dire, donc, en fait, oui finalement c’est ça, on pourrait que votre PC s’est en quelque sorte suicidé.
– Suicidé ? Mon PC ?
– EN QUELQUE SORTE j’ai précisé. En quelque sorte. Mais je peux trouver une autre image si vous voulez… Le fait est que de lui-même, il a cessé de vivre. Il s’est comme mis dans le coma, si vous voulez. Overdose. Blackout.
Je suis resté assis, j’ai mis le téléphone en mains libre, je me suis gratté la tête pendant que mon estomac faisait à son tour de drôles de bruits. Auxquels je ne prêtais pas spécialement attention. Je ne comprenais rien. Rien à rien.
– Z’êtes là ?
– Oui.
– Ah, vous m’avez fait peur… Donc je disais, Overdose, kaput, finito, terminada l’ordinateur. Il a rendu l’âme.
Ce type m’effrayait, à vrai dire.
Le PC s’est suicidé. L’ordinateur a perdu la vie. Il a rendu l’âme. A cause du covid. En quelque sorte. Ben voyons.
– IL a pété les plombs, si vous préférez, ah ah ah ah, c’est le cad de le dire. Il a fondu un plomb même. Mais mes potes et moi, on a vite compris. Avec tous ces confinements, tous ces reports de la vraie vie sur les réseaux, sans parler de la G, on n’en parle pas encore de ça, eh bien l’ordinateur, surtout le vôtre, hein, je veux pas dire, c’était pas un foudre de guerre non plus, ben z’ont pas pu tout absorber, y’avait trop, trop de signaux, trop de sollicitations et plutôt que de tenter de suivre, il a préféré abandonner, épuisé en quelque sorte. C’est un phénomène assez rare, je ne vous le cache pas. Vous êtes même le premier dans la région, peut-être même en France. Rendez-compte ? !!!
On en est resté là.
Black Friday.