Non. C’est faux. C’est faux de dire cela. Encore plus faux de le penser. On n’est jamais prêt. Jamais. A la rigueur, on a avancé. On a envisagé.
Ce n’est pas du chagrin, non. C’est faux de dire cela. Encore plus faux de le penser. C’est de la colère. Qui assomme le cœur. Qui te coupe en mille morceaux.
Ça t’écorche la gueule. Ça rictus. C’est juste dégueulasse.
C’est aujourd’hui. Ce matin. 07.04.2020.
C’est pas corona. C’est pas virus. C’est crabe.
C’était aujourd’hui. Car aujourd’hui a soudain basculé, quand la nouvelle est arrivée.
Elle était attendue, bien sûr. Envisagée. Mais le poieds de la masse, non, ça non, ce n’était pas attendu. Pas envisagé.
On se retrouve contre le mur, un mur de larmes sèches et de neurones qui s’entortillent. Mal à la tête, putain. Mal à la tête.
Alors je suis allé me promener. J’ai obtempéré. J’ai baissé la tête. J’ai blessé la tête.
Il y avait eu dans la journée comme une prémonition. On dit ça après, toujours. Il y avait une sensation. Etrange. Malaisante. Quelque chose qui lézarde, qui fissure, sans savoir quoi.
Puis la nouvelle est tombée. Je me suis tu. J’ai fermé ma gueule. Et j’ai suivi mes pas qui me menaient le long de la rivière. J’ai longé la crue. J’ai fait des photos. Tête baissée. A traquer le détritus. A essayer en vain de débusquer les obus.
Poser les yeux en bas, planète terre, avant de les lever haut le soir venu, lune rousse.
C’est cela, en fait : terre basse et lune rousse.
J’ai photographié pendant que le soleil se couchait, s’en allait, là-bas, derrière la rivière, derrière les arbres, derrière les jardins, dans le silence d’un mardi de confinement, dans la tristitude solitaire d’un 07.04.2020 qui convoque la mort, à nouveau.
Je suis rentré à la maison. J’ai mis de la musique fort.
Des guitares qui grincent ; des riffs qui tanguent.
Des tambours.
Des voix qui chantent, qui gueulent aussi, qui hurlent pourquoi pas.
C’est toujours au détour d’un chemin que la mort surgit.
Une réflexion sur “Fendre l’âme / Lune rousse”