Chaque soir, dans la ville du coin, à 500 mètres (grosso modo) de chez moi, je vais faire ma promenade. On dirait un petit vieux qui cause, là, aussi je vais préciser : je vais prendre l’air, quoi.
M’aérer les gambettes et les neurones après une journée de télétravail. J’ai bien évidemment mon aussweiss dans la poche et ma carte d’identité avec. J’ai aussi mon appareil photo en bandoulière et un manteau ces jours-ci, parce que ça caille, en Lorraine.
Je fais cela tous les jours depuis le confinement. En images, c’est visible ici, si vous voulez.
Au début, j’étais épaté par le silence. Les oiseaux que j’entendais soudain. Les cris d’enfants qui jouent. Sympa, beau temps, menace virale pas encore très claire.
Et puis les jours passent. Je m’habitue, y compris au bruit de mes pas sur le macadam pendant que je me promène dans les rues vides de la ville pleine.
Je croise de moins en moins de gens. Quelques voitures. Je vois des badauds avec des masques, des ombres se faufiler, des personnes qui s’éloignent, s’écartent, prennent de drôles de trajectoires quand un congénère est à proximité.
Ce soir, j’ai trouvé cela gênant. Flippant. Car à mesure que l’on s’habitue au silence, aux oiseaux (j’envisage de créer une fondation de lutte contre les corneilles qui font chier à grouiller comme ça dans la canopée de mon at home), aux passages de chats et aux gens qui promènent leurs chiens à moins que ce ne soit l’inverse, à mesure donc que l’on avance dans ce confinement, des ombres nous frôlent derrière les façades. Nous les frôlons.
Car maintenant que nous sommes dans le silence durable, on prend vachement plus conscience de toutes les maisons, de tous ces appartements. Ils deviennent comme autant de pièces d’un immense puzzle ; même dans une petite ville, ça va vite en fait : des milliers de vies, ici ; des centaines de milliers là ; des millions.
Je prends en photo des rues, des façades, et je flippais, tout à l’heure, en me disant, putain, si ça se trouve, à ce moment précis, pendant que toi tu chopes la beauté de l’instant éclairée par le soleil couchant, peut-être que…. Ou que… Et ce toute la journée, toute la nuit, toute la semaine, et sans doute encore tout le mois d’avril.
Je trouille de ce qu’il peut y avoir derrière ces murs, avec l’exacerbation de ce confinement.
J’ai peur des violences. Invisibles. Des faits divers à venir. Une femme, un enfant, un homme, une personne seule.
Ouais, je trouille et ça me suffit pas de me dire que dans le même temps, sans doute, on fêtera un babyboom à Noël, que plein de couples vont se rabibocher, que plein de familles vont connaître des moments extraordinaires, que plein de voisins vont se découvrir, que plein d’initiatives vont se prendre.
Et vous savez quoi ? Ben ça me fait suer que ce soit un confinement qui me fasse penser à tout cela. Et pourtant.