Ce modèle de société, cette nouvelle organisation de la société que nous devrons donc aller chercher avec les dents, il a un nom : Philia.
C’est celui que je lui ai donné.
Il mêle des éléments de diverses obédiences. Surtout, il met le prendre soin au coeur de tout, le bien commun au coeur de tout. Un prendre soin pluriel : la nature, l’Humain, l’autre.
Il est un renversement.
Probablement une version moderne ce dans quoi notre France est engluée et ne sait pas s’extirper : tout notre état providence est né d’une crise, de guerres, et d’un désir en 1945 de trouver une réponse Française. C’est le fameux « Les jours heureux » créé par le conseil national de la résistance. La Philia est son enfant. Son avenir. Un projet de société qui vient heurter de plein fouet tous les ni ni et les en même temps qui nous font croire que le changement c’est maintenant alors que le bon sens, c’est quand même se savoir qu’on ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs. La Philia est un prolongement, un regard vers aujourd’hui et demain, qui pose des fondamentaux. Un cap. Un vrai cap s’entend. Le souci est évidemment que chacun les protège, ses oeufs, les couve même, dans une culture du rétroviseur que je ne valide plus. Il est temps de grandir.
«La philia, quel que soit l’équivalent français adopté, c’est la réserve de chaleur humaine, d’affectivité, d’élan et de générosité (au-delà de la froide impartialité et de la stricte justice ou de l’équité) qui nourrit et stimule le compagnonnage humain au sein de la Cité: et cela à travers les fêtes, les plaisirs et les jeux comme à travers les épreuves. La philia, c’est aussi le sentiment désintéressé qui rend possible de concilier, comme le veut Aristote, la propriété privée des biens et l’usage en commun de ses fruits, conformément au proverbe -repris par l’auteur de la Politique à l’appui de sa thèse opposée à celle de Platon- qu’entre amis « tout est commun »». (Jean-Jacques Chevalier, Histoire de la pensée politique, tome 1, Payot, Paris 1979.)
La Philia, vous en saurez plus en suivant ce lien et en lisant ci-dessous un texte que je diffuse à nouveau. Je laisse ici cet extrait, et vous offre de vous y pencher, d’en débattre si vous le voulez.
Je suis un sensible, un émotif, et aussi un lucide, un responsable. Un intuitif aussi et j’ai cette conviction : le moment est venu.
(bonus track en fin d’article : la chanson qui a inspiré ce titre)
Choisir la philia
Amitié (en général) est le premier sens du mot philia, mais Aristote donne parfois à ce mot le sens d’amitié civique, ce sentiment d’attachement, différent de l’amitié entre deux personnes, qui lient entre eux les membres d’une cité.
C’est ce sens particulier du mot philia que j’ai à l’esprit.
Rappelons que, pour Aristote, l’homme est un être naturellement sociable,un zoon politikon, et que, par conséquent, dans des conditions normales , il devrait suffire pour le civiliser de ne pas nuire à l’expression de sa sociabilité naturelle. Par cet appel à Aristote, les fondateurs de Philia prenaient leurs distances par rapport à la thèse selon laquelle« l’homme est un loup pour l’homme.» Cette thèse, formulée pour la première fois par le poète latin Plaute, a ses racines modernes chez Hobbes. Elle nous invite à la méfiance à l’égard de l’autre, à des pratiques et des institutions de même inspiration.
Choisir la philia comme fondement d’une politique, c’est donner raison à Aristote pour qui l’homme est un zoon politikon, un animal naturellement sociable, contre Hobbes pour qui l’homme est un loup pour l’homme. Cette sombre idée sert de fondement à notre marché, centré sur le calcul et les intérêts de chacun. C’est le règne de la méfiance, par opposition à celui de l’amitié.
Choisir la philia c’est s’engager à faire le nécessaire pour que les personnes handicapées, les malades mentaux et leur famille reçoivent le soutien dont ils ont besoin. Notre honneur en tant que membres d’une société moderne est en cause. Jadis la vie des personnes handicapées était généralement brève et leur exclusion de la société était admise, les Églises leur offrant des refuges. Au moment précis où la science rendait possible pour les personnes handicapées une vie plus longue et meilleure, on jugea les refuges qui leur étaient offerts indignes d’elles. Ce fut le début de la désinstitutionnalisation. Les familles naturelles ou les familles d’accueil allaient devoir prendre le relais des refuges. Si ces personnes ne reçoivent pas de leur communauté et indirectement de l’État le soutien dont elles ont besoin, il faudra bientôt ouvrir de nouvelles institutions. Pour assurer ce soutien, il conviendrait si nécessaire de renoncer à la gratuité de certains services médicaux dont l’efficacité est douteuse.
Choisir la philia c’est aussi choisir d’accorder la primauté dans l’État et dans le marché à l’accomplissement des personnes. Il ne s’agit pas là d’une résignation suicidaire à l’inefficacité mais d’un pari sur cette efficacité d’un autre ordre qui est souvent donnée par surcroît dans les situations où existent les conditions de la créativité et de la responsabilité. Bien qu’elle n’échappe pas toujours à une naïveté frôlant le ridicule, la littérature actuelle sur les organisations apprenantes mérite toute notre attention. Qui donc n’a pas eu l’occasion de s’émerveiller des résultats obtenus par une équipe d’êtres libres et amis les uns des autres travaillant à leur rythme et en réseau à une oeuvre qui a un sens?
Choisir la philia c’est inviter les États et les entreprises à accorder plus d’importance à la confiance. Un responsable du service des achats surveillé par une personne plutôt que par cinq comme c’est le cas dans les hôpitaux du Québec, sera plus tenté de tirer des avantages personnels de son poste, mais pour un qui succombera à cette tentation, et qu’il sera facile de congédier, neuf seront plus heureux et plus productifs.
Choisir la philia c’est s’engager à substituer l’humanité des choix amicaux à la rectitude des choix bureaucratiques. Quel directeur d’école, quelle directrice d’hôpital, quel chef de département dans un Ministère n’ont pas rêvé de former de bonnes équipes en retenant comme critère d’embauche principal les affinités avec le groupe déjà formé plutôt que l’ordre déterminé par l’ancienneté.
Choisir la philia c’est inviter les syndicats et les associations patronales à subordonner la communauté de ressemblance à la communauté de solidarité. La communauté de ressemblance est celle qui réunit soit des personnes ayant une activité semblable, soit des personnes du même âge, quel que soit le lieu où elles habitent. La communauté de solidarité est celle qui réunit toutes les personnes, si différentes soient-elles, vivant dans un même lieu. Plutôt que de s’enraciner dans le milieu où vivent leurs employés, les patrons préfèrent souvent se réfugier dans les beaux quartiers et cherchent la compagnie de leurs homologues plutôt que celle de leurs voisins. La mondialisation aura aggravé ce problème. Les employés à leur tour se rapprochent de leurs semblables, ce qui contribue à dissoudre les communautés de solidarité. C’est l’une des causes de la solitude de bien des gens. Dans le même esprit, les autorités politiques devraient favoriser un développement qui favorise les communautés de solidarité.
Choisir la philia c’est miser d’abord sur les réseaux naturels plutôt que sur les services rendus par des professionnels, sans toutefois renoncer à la compétence de ces derniers, ce qui suppose qu’on ait d’abord recours à eux pour soutenir la résilience des réseaux naturels, là elle est encore possible, ou pour susciter l’apparition de réseaux artificiels légers, là où il n’y a pas d’autres solutions possibles.
Choisir la philia c’est inviter les gens à organiser leur temps privé de façon à ce qu’il y ait place pour le dialogue et la réflexion sur le sens de la vie. C’est inciter l’État à organiser le temps public selon les mêmes principes. L’ouverture des commerces jour et nuit toute la semaine n’est pas une décision heureuse de ce point de vue. La semaine sans télévision, organisée chaque année par des groupes de parents et d’élèves dans de nombreux pays, est un bel exemple des efforts qui peuvent être faits pour organiser le temps privé de façon à ce que l’âme puisse y respirer.
Choisir la philia c’est inviter les fondations et les autres groupes privés de bienfaisance à jouer un rôle accru dans les communautés en évitant toutefois d’imiter l’État ou le marché, en favorisant au contraire les initiatives qui auront pour effet de faire pénétrer l’esprit du don et les règles de l’amitié dans le marché et dans l’État.
Choisir la philia c’est veiller à ce que la règle de droit ne nuise pas à la vie sociale, c’est faire en sorte, par exemple, que la crainte d’une poursuite en responsabilité n’incite les gens à refuser de pratiquer l’hospitalité. Combien de gens s’abstiennent d’offrir leur aide à des familles hébergeant une personne handicapée parce qu’ils s’estiment incompétents et que pour cette raison ils craignent d’être tenus responsables d’un accident. (J.D)