Novembre 2018 / Décembre 2019.
Aux côtés de la vie qui s’en va
La mère. Puis le père. Ils s’en sont allés. Avec classe, et je ne dis pas ça parce qu’ils furent enseignants avant de bénéficier d’une longue retraite. Des témoins de l’ancien monde, qui ont étudié, travaillé, et qui, retirés des affaires, ont donné de leur temps au bien commun. En pensant un peu plus à eux.
Ils sont partis à mesure que leurs corps les lâchaient, eux qui avaient toute leur tête, comme on dit, même si ce n’est pas tout à fait vrai. Des rides soucieuses en forme de points d’interrogation étaient apparues et, je le perçois maintenant, ces rides disaient les rudes pensées qui avaient fini par s’incruster comme les berges d’un fleuve.
La question du sens de la vie se pose quand on est sur les rives des 80 ans passés.
Aujourd’hui, treize mois après, je ressens ce sentiment que tout est bien.
Sans que cela ait fait l’objet de quelconques échanges, nous avons tenu le cap que nous nous étions fixés. Eux. Moi.
Quant déboule le moment où l’on sait que c’est la fin, le combat change de valeurs. De nature. Et même de vocabulaire.
On ne s’acharne pas.
On veille, on accompagne, on guide aussi, non comme une ironie du sort, mais comme un ordre naturel des choses. Une politesse à la vie, celle avec un grand V. Celle, moins glamour, de la fin.
C’est le temps de l’accompagnement.
De la présence autant que faire se peut aux côtés de ceux qui vont partir.
Il n’y a alors plus d’attente mais de la patience.
De la bienveillance : dépassés par un monde qu’ils ne comprenaient plus et qui ne leur laissait plus tellement de place, attentifs au sablier et à la pendule qui dit oui qui dit non, se succèdent les moments où c’est oui, puis non, puis oui.
La mort n’est pas un non. Elle n’est pas non plus un oui. Même si l’on sent, dans le regard et les mots qu’à un certain moment, la décision a été prise. Elle me semble être un état plus qu’une pensée.
Une personne âgée est une personne. C’est ce que je retiens, et c’est ce que j’ai partagé pendant tous ces longs mois avec celles et ceux qui, au quotidien, sont aux côtés de ces personnes. Ce n’est pas la même société, soudain. Il y a du calme, de la bienveillance, de la compétence chez ces invisibles qui maintiennent en apnée un vivre ensemble qui respecte chacune et chacun comme il est. Ce n’est plus le temps des apparences et du clinquant. C’est un espace élastique, hors du temps, justement, où se disputent la vie qui s’en va et la mort qui arrive.
Ce vocabulaire nouveau peut paraître indécent en ces temps de l’isolement, des colères rentrées, des non dits qui pleuvent comme des orages sans fin. Mais je l’ai rencontré, il existe.
Empathie, accompagnement, valeurs, éthique, bientraitance, compréhension, calme, temps, sourires, mains dans la main, regards qui se posent et qui ne s’affrontent pas, ou plus : le temps de la fin de vie est un temps qu’il convient de donner à ceux qui nous ont précédé. Politesse absolue. A hier. A aujourd’hui. A demain. J’ai appris ceci : toujours, chacun fait du mieux qu’il le peut.
J’éprouve une certaine fierté quand je vois comment mes parents sont partis. Il y a eu de l’élégance. De la discrétion. Pas question de se plaindre, de faire porter le chapeau à d’autres, malgré les gestes plus difficiles, l’autonomie en baisse, l’appétit en moins.
Ils sont partis en conservant leurs parts de secrets.
Leurs ombres.
Leurs lumières.
Nous sommes tous des mirabelles, ce fruit Lorrain juteux et doré avec un noyau qu’on recrache en ne gardant que la saveur subtile et sucrée d’un fruit qui rappelle que les beaux jours sont à venir, toujours, année après année.
La mirabelle comme un état d’esprit dont nous serions bien inspirés de partager en grandes rasades.