Nomades Land, avec des enfants dans les bras

Retour sur le concert des non disparus « June Frost » retrouvés quelque part dans un bout du monde niché dans la Plaine des Vosges, à quelques encablures d’une illustre cité de luthiers, dans un lieu atypico-rural qui rend le monde mieux.

June Frost. C’est un groupe de musique rock atmosphérique qui avait disparu des radars bien avant la surmédiatisation du réchauffement climatique et de ses frimas de juin, puisqu’il en est ainsi de l’autre côté de l’hémisphère. Sa musique, à la fois planante, aérienne et musclée, nous crie et nous murmure le passage du temps avec tout ce qu’il nous prend et nous donne. Nous avait donné et nous redonne.
Les afficionadios de l’époque, nous sommes dans les année 1990, quelques albums dans le baluchon, se disent et merde. Le groupe s’arrête, à moins qu’il ne se cryogénise, ce que l’on ne sait pas à l’époque. On savoure que la rencontre ait lieu, on écoute régulièrement ce groupe singulier où règnent des morceaux toujours en tension, ponctués de didgeridoo et de violon (ou pas), où plane comme en apnée parfois la voix du charismatique Robert Hancock, citoyen néo-zélandais qui a trouvé place dans un coin de Lorraine, pas n’importe où : la Plaine comme on dit dans les Vosges, la cité des luthiers, comme le savent les spécialistes, puisque Mirecourt est de ces lieux où dans le secret des ateliers et le savoir-faire des mains d’or, l’on fabriquait de merveilleuses et uniques pièces à cordes au son reconnu.

June Frost. Des ambiances, un son… et puis un retour. Inattendu pour qui n’était pas dans le secret. Peut-être eux-mêmes, les membres du groupe, ne le savaient-ils pas. Ça s’est fait, et c’est tant mieux, sous la forme d’un disque, intitulé comme à la parade « Unlost », richement doté de 12 pièces, et de deux concerts donnés en ce october 2019 dont un dans l’improbable cité de Madecourt, que même les GPS les plus armés s’y perdent. De fait nous sommes arrivés en retard mais magie du temps suspendu, nous étions quasiment en avance. Ainsi va la pendule des Hommes.

Madécourt. Village des confins de la fameuse Plaine, un bout du Monde dont ici on est fier et qui claque comme une évidence pour June Frost. L’air de rien, sur scène, outre le néo-zélandais, on trouve un Australien, un Gallois, etc. Sur le fronton d’une maison que l’on sent en chantier permanent, non de ces travaux qui traînent mais plutôt de ces convictions qui tracent leur sillon, surgit un lieu lui aussi atypique, étonnant, baptisé sobrement et presque discrètement : L’atelier de l’Homme Debout. Il paraît que les Dieux ont ricané au début avant de s’inviter à des agapes qui ne se tiennent qu’au printemps et à l’été. Le lieu n’est chauffé que par les coeurs qui battent et l’hiver, ça ne suffit pas.
Bref, on entre dans ce lieu avec la certitude qu’il va se passer quelque chose.
Ici l’on se parle. L’on boit un coup. L’on sourit. L’on se connaît même quand on ne se connaissait pas il y a deux minutes. Canapés et pierres apparentes, affiches réclamant de la culture, des médias intéressants, du temps pour lire et pour le patrimoine, tables, coin bar. On est accueilli. Mais étrangement, car quand on arrive, on n’est pas encore arrivé. Bigres de fermes Lorraines, tout en couloir. On paie nos places (pas chères), on prend un verre (tarifs dont tous les urbains sont jaloux), on regarde alentour, on tend l’oreille mais n’entend pas de musique, on ne voit pas de salle, on se demande c’est quoi ce truc.

La salle est en fait à l’étage. Un grenier aménagé en salle de concert ! Un grenier, pour June Frost, c’est juste une ironie trompeuse, un concours de circonstances, où un magnifique message. De ce grenier jailliront des pépites auditives, des surprises, une corde pétée, un noir complet même, et quelque chose de furieusement aujourd’hui. De mieux demain. Dans ce grenier dont on extirpe un groupe disparu et revenu de nulle part, on n’est pas dans le passé, mais au cœur du monde.
Un monde mieux, comme me le dira plus tard un septuagénaire adepte du lieu et entouré d’une ribambelle de jeunes dont l’un nous confiera qu’il va son tour de France agricole, lui ingénieur qui a découvert la ruralité par la recherche. Voyez le chapelet d’histoires qui se racontent ici ?

June Frost. On s’installe, ils arrivent, et le songe d’une nuit d’automne débarque. Robert Hancock et ses compères ont pas lésiné sur les éclairages, le matos. Ils sont concentrés. Emus sûrement. Pas rien quand même. Deux concerts en 25 ans, ça rajeunit les émotions !
De fait, comme ils nous prennent où ils nous ont laissé, la magie opère de suite, les nouveaux adhèrent. On plonge. Ils volent. On accourt. Ils se déploient. La fumée créé des volutes qui prennent leurs aises au-dessus des musiciens, comme un voile protecteur troué par les projecteurs. On est bien dans un vaisseau, soudain, direction la beauté. C’est June Frost… en mieux. On se doute que ses 25 ans n’ont pas été que de la mariole. Mais on sent la patine du temps, le boulot réalisé. La voix mieux posée que naguère, les jeux de guitares hyper maîtrisés, les claviers qui soulignent, le didjeridoo, le violon, des percussions qui surgissent, s’en vont, reviennent, soulignent, ponctuent. Et un duo basse-batterie métronome, implacable. Tout un écrin pour que la voix et le jeu si singuliers dze Robert Hancock se posent et s’imposent. Lui-même confiera dans son français chewing-gum : D’habitude j’aime pas parler entre les morceaux, mais ce soir, je ne sais pas, j’ai envie d’être bavard.

Le set se fera en deux temps. Voyage dans le temps. On commence par hier, on termine par maintenant. Les albums d’avant. Celui d’aujourd’hui. Et une belle constance, car on ne voit pas la différence. Mieux : on aime encore mieux maintenant les morceaux d’hier et on adore déjà ceux d’aujourd’hui, que l’on écoutera et réécoutera demain. Car June Frost, c’est de la musique à l’état pur, qui prend son temps, qui s’installe. Une musique qui nous susurre à l’oreille et réussit à mêler la douceur en surface au bouillonnement intérieur,et l’inverse, que l’application des musiciens, le sourcil froncé, la concentration optimale renforce comme on sert le propos. Le public, d’ailleurs, prend ces brassées d’émotions et de chuchotements sonores, assis d’abord, puis debout, puis dans le noir et sans le son à un moment, puis à nouveau en pleine lumière avec pour finir un long et magnifique morceau instrumental qui nous conduit vers The End. Quelques rappels plus tard, on redescend. C’était bien le grenier, finalement.

Il paraît que de concert unique trace a été gardée puisque enregistrement a été réalisé. Et que la bande de nomades qui a trouvé terre d’asile dans ce coin des Vosges va reprendre le chemin de la route. Avec des enfants dans les bras.

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