Il y a une semaine, nous sortions de l’église. Avec le Boléro de Ravel. Les gens s’étaient sans s’en rendre compte installés en arc de cercle, à distance toutefois, du véhicule gris dans lequel retournait le cercueil, et les fleurs.
Il y a une semaine, nous saluions de toutes les façons possibles une Dame qui s’en est allée. Textes religieux et profanes, chants, musique, cantatrice, deux photos à proximité du cercueil, les bougies, un petit globe sur un socle, l’odeur de l’encens. Il y a une semaine, il faisait beau. Il fait encore beau.
La planète a perdu l’un de ses habitants. Ce fut un gain. C’est une perte.
On dit trop brutalement, trop facilement, trop bêtement que la vie continue. Depuis une semaine, et un peu plus en vérité, je me dis que c’est une connerie, de dire cela.
Non. La vie ne continue pas. Elle ne le peut pas. Il y a perte. Il y a départ. Il y a repos. En vérité, la vie se poursuit, et j’aime mieux cette formule. Peut-être, sûrement même, parce que je n’aime pas les mots qui commencent par RE. Ils disent trop comme loin de demain nous sommes. Trop comme rivés sur hier nous restons. Ma mère s’en est allée. Elle a fait son temps. Elle a eu une vie comme nous tous. Des plus, des moins, des choix. Ceux de son temps.
La planète a perdu un de ses habitants, et plus qu’un départ, il y a une semaine, nous avons célébré je pense, le plus joyeusement possible, cette perte, et avec, cette chance que la planète ait eu pendant 82 ans d’avoir cette habitante-là, au-delà des épreuves.
Il y a une semaine, pendant la cérémonie, je pensais à ces 82 années-là et aux 52 que nous avons partagées. Un sacré trait d’union !
Ces années que les livres d’histoire présentent comme les seules « sans guerres », oubliant un peu vite les traces laissées, les souffrances restées, ce qui se perpétue dans les quotidiens. Et en Lorraine, ce n’est pas rien car la région a toujours été le théâtre des affrontements, en mode deux lames. Au début, à la fin. Suffit de se promener. Les traces demeurent. Suffit d’échanger. L’état d’esprit reste traumatisé.
Je mesure d’autant mieux à quel point ma mère a traversé ces années-là comme on empoigne un destin avec un fameux caractère. Du caractère, y compris dans ce qui ne se disait pas, ou plus. Avec deux fossettes et des yeux pétillants. Avec la résilience qui faisait choisir la beauté et retenir le bon. Choisir la bonté et retenir le beau. Tout ne fut pas aussi simple, bien sûr. Il y a aussi eu du rugueux et du bancal. Mais le fil a tenu.
Il y a une semaine, j’étais épaté par la manière dont elle est partie. Comme elle nous a préparé et comme elle a profité jusqu’au bout. L’élégance dans laquelle tout cela s’est passé. Ces derniers mois, peu à peu transformés en dernières semaines, puis en derniers jours, jusqu’au dernier souffle. La mort est un train qui peut aussi venir lentement à vous.
Il y a une semaine, je souhaitais que, collectivement, nous soyons à la hauteur et sachions le rester. Nous l’avons fait, je pense.
Aujourd’hui, doucement, avec apaisement, avec fierté, je vis ce premier jour de la deuxième semaine.
La vie se poursuit.
Poursuite est au fond un joli mot auquel je n’avais jamais vraiment prêté attention. Pour. Suite. Poursuivre est pas mal aussi. Pour suivre.
Poursuivre, donc. Et avec, créer, inventer, trouver, donner, protéger, accompagner; construire.
Il y a une semaine, nous prenions les clés qu’elle nous laissait.
Avec des portes à refermer, des portes à ouvrir, et du chemin à faire.
Quelque part, il y a dix jours, un enfant est né. C’est son tour.