Au loin, ce qui semble être un joli caillou. Il est destination. Trompeuse.
C’est loin en fait. Petit devient grand. Puis très grand. Puis immense.
Il fait soleil, ciel bleu et les godasses trébuchent dans le fatras de roches dévalées pendant que là-haut, c’est neige. C’est blanc. Des sillons ruisselants percent la masse. Grise la glace.
A mesure qu’il approche, le caillou devient rocher et près de lui, des chiffres sont peints. On les suit à mesure qu’on grimpe, à mesure que le silence s’installe, à mesure que même le vent semble s’apaiser, s’endormir, havre sournois cependant, car l’on sent bien sous la semelle qu’un rien peu fendre la ramure, qu’un ploc de plus peut décimer l’endroit.
Et vous avec.
En quête de l’edelweiss qu’il ne débusquera finalement pas – mais où en trouve-t-on au juste ? – le poète s’imagine des adolescents s’aventurant dans l’immense, reculant chaque année un peu plus leurs limites et la symbolisant avec les 4 chiffres qui font dates. L’écriture est nette. Résolue. Impérieuse.
On pourrait y deviner des visages radieux, des bras vainqueurs, des baisers.
A mesure de la grimpe, l’effort du souffle et les oreilles qui sifflent l’oeil rivé sur le sol, le poète inspiré ne se raconte pas la bonne histoire.
C’est au retour, quand se décide la fin de l’épopée du jour, quand un autre caillou, plus loin, s’est révélé être lui aussi un énorme bout de montagne, quand la neige, éternelle, vire du blanc au bleu, quand il s’agit alors de rebrousser chemin, que l’histoire se narre.
Brutale. Les dates sont bien des témoins. Mais d’un compte à rebours. Avec froideur, les chiffres disent qu’ici, en telle année, il y avait de la neige. Puis plus. Que l’année suivante, reculade encore. La langue blanche se retire. Plusieurs mètres par an. Le chercheur d’edelweiss a la vue qui se brouille, la mâchoire qui se serre.
Merde, se dit-il.
C’est l’agonie de l’edelweiss que j’ai arpenté.
La fonte des neiges. La fonte des glaces.
Il ramasse un petit éclat de roche. Un témoin. Pas un trophée, non : un rappel. Du respect infini dégagé par le géant. Et de la honte que portent les Hommes.
Une musique pour aller avec. Pike, Atlanter. C’est celle que j’ai écoutée en m’en repartant ce jour-là.