La traversée

C’est de ces soirs où même les lampadaires se sont éteints. Un port qui tourne le dos à la ville. Lueurs orangées qui rebondissent loin sur les flots, pendant que la lueur du phare semble vouloir donner des coups de balais aux vagues, elle époussette la surface propre comme un sous neuf. Je n’ai pas entendu le clairon. L’entrée du port clignote et le bateau émerge de la nuit, on dirait qu’il surgit, qu’il rugit pendant que je rougis. L’un quitte la brume et l’autre y entre.
Je sens, je sens mon coeur qui bat, mon coeur qui bat plus fort, et ça tangue pendant que les cordes se tendent et s’amarrent. Je sais, je sais que c’est sur une île que l’on se sent plus terrien encore mais chaque fois, au moment de quitter la terre, le continent, je suis saisie d’un effroi et c’est en fermant les yeux mon billet à la main que je rebondis de l’autre côté de la passerelle. Un matelot m’a tendu une main, me voilà à bord. Pas encore partie. Plus tout à fait restée.
Je suis allée m’installer au fond, là-bas, près des canots de sauvetage, près de l’eau, loin des touristes, loin es cheminées qui crachent leur diesel. Et je sens, je sens mon coeur qui se sers, mon coeur qui semble se rétrécir alors, la peur est là, une peur, que je connais, reconnais plutôt car je ne la connais pas, toujours elle survient à ce moment-là, subite, subtile, submersible. Effervescente. On dirait un cachet d’aspirine qui disparaît dans l’eau en faisant des bulles. Mon estomac au diapason. Ca gargouille alors que le bateau s’élance, crachote, crapote, déglutit. C’est le départ, un départ, comme une suite, un départ comme une fuite. A peine arrivée.
Je tangue plus que je ne marche pour me mettre dans le sens du vent, seule, enfin seule, par-dessus les flots qui ont pris de l’ampleur et de l’allant. Aucun habitant n’a pris ce trajet-là. Cela ne me surprend pas. Ils connaissent l’océan. Ses rythmes. Ses caprices. Et si ce n’était mon impatience à retrouver ma maison, je serais la première à penser que le temps n’y est pas, que c’est dernière limite ce transport.
Mais tout cela ne dure pas. Le bateau est parti, fort comme un boeuf, nous avons quitté le le continent, et alors, en moi, tout se paisible et pourtant la mer se démonte, tout semble s’alanguir comme si je les déposais dans l’écume qui suit la navire à la trace avant de se laisser engloutir.
Le voyage est court, de ceux qui durent longtemps ; beaucoup de choses s’entrechoquent. C’est comme cela, à chaque fois… Tant de craintes ; tant de forces ; que je ne sais plus dans quel sens ça va, comment le vent siffle, je mets mon capuchon : il fait plus frais l’eau valdingue. Je souris. Il pleut toujours même s’il ne pleut pas.
Voilà que les premières falaises se dessinent au loin, elles piaffent on dirait, elles m’attendent je me dis, et cela m’apaise, me réchauffe de dedans. Je sais, je sais la buée à la vitrine du bistrot, les plissements des yeux de Roger, de Nadette et leurs voix chaudes comme des bras qui enveloppent. Je sens, je sens les odeurs qui sont celles de chez moi, un chez moi où pourtant je suis arrivée un jour par hasard, presque en cachette. Ils m’ont adoptés. Penser à eux me fait du bien, je pense à la cheminée, au feu, aux craquements du bois. Je me retourne. Je ne vois plus rien. E c’est très bien. Une errance en masque toujours une autre. Et j’aime ça. Comme une famille. Ma famille.

Texte inspiré par une musique de la pianiste  Lise Baudouin.
Contrainte d’écriture : écoute d’un morceau et écriture en direct live en une prise. Quelques corrections à la marge puis diffusion. 

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