C’est donc là. C’est donc Ici. Dans un recoin du centre de l’Allemagne. Là qu’est née l’omerta. Mots de guerre. Stalag 9. Baraquements. Trutzhain. Un dénommé Daniel, parti sur les traces de son père, nous a grandement aidé. Papy, tu y as passé cinq (ou six) années dont on ne sait quasiment rien. A ce qu’il paraît, tu as tout jeté en rentrant. Tu n’en as jamais parlé. Quelques uns disent que tu as tapé dans la gourde et pas seulement dans la gourde ensuite, et que parfois, tu rêvais en allemand. J’entre dans un tunnel à ciel ouvert. Je viens en ce jour de juillet 2017 avec les yeux d’aujourd’hui. Je fredonne sans m’en rendre compte Jean Ferrat. Nuit et brouillard. Elle est étrangement familière, cette chanson, elle a surgi de mon patrimoine génétique sans crier gare. Je marche sous la pluie et le ciel blanc. Un blanc impur qui abreuve mes petons. En réalité, je cherche mes mots en déambulant. Je cherche ce que je suis venu faire ici. La raison du détour. La raison du plongeon. C’est assez étrange. Il n’y a pas un bruit, presque envie de dire mais ce sera démenti plus tard, pas âme qui vive. En réalité, rien n’a été été effacé, seule la patine du temps et la vie qui reprend à défaut de continuer ont oeuvré.
Car à la fois les lieux demeurent.
Des panneaux se nichent dans des haies et la configuration des lieux a été adaptée à nos temps modernes. Quelques maisons sont dotées de plaques. Un combat surprenant de drapeaux dit les voisinages orageux : deux masures l’une arborant le drapeau allemand et l’autre le drapeau américain.
Marchant, je m’aperçois que je n’essaie pas de penser à toi hier, Papy, encore moins à panser. Je ne suis pas venu avec un typex pour corriger.
Cela ne se peut pas. Je ne suis pas certain d’ailleurs d’en avoir envie.
Je ne cherche pas à savoir où tes yeux ont pu se poser et où tes pas ont pu te conduire. Je n’entends pas les bruits des hommes qui sont venus là.
Je suis plutôt venu regarder ce que c’est devenu pour te le dire. Des fois que. Te dire comment c’est aujourd’hui.
D’après le plan déniché près de la porte fermée du Gedenstätte und Museum Trutzhain, je suis près du poste de commandement. J’ai appris que François Mitterrand a lui aussi séjourné ici, côté officiers. Que des corps ont été jetés non loin, en lisière de forêt. Il y a une église et derrière, des champs, des arbres.
Je marche. Je devine les enfilades de bâtiments. Des appartements ont été créés en lieu et place. Certains sont joliment habillés, d’autres ont l’air plus austères.
Je suis heureux d’être là. Bizarrement heureux.
J’ai l’impression de réparer quelque chose.
Je me souviens de tes yeux, quand il ne fallait pas parler de l’Allemagne et des allemands. Cette manière que tu avais de clore le chapitre avant même qu’on ait essayé de l’ouvrir. Même un match de foot, c’était le temps où l’on perdait à la fin, te hérissait le verbe. On ne riait pas de ces choses-là.
J’ai grandi dans cette omerta tournant le dos à la frontière voisine et à sa langue, me cultivant une mémoire morte d’un pays inconnu.
J’ai découvert en cet été 2017 ce pays et sa langue mystérieuse, finalement pas si laide, bien au contraire.
Le mot est enfin arrivé. Nettoyer. Laver. C’est cela que je suis venu faire ici. Je suis venu nettoyer ta mémoire, la laver, quelque chose de ce genre-là, sans aucune prétention dans l’idée. Je suis venu te dire qu’on a respecté ta présence en ces lieux. La tienne, celle de tes compagnons. J’ai respect pour cela. Je trouve cela très bien et je souris quand je croise un type qui s’en retourne à sa bière après avoir ouvert sa porte pour voir qui était ce gaillard se promenant dans le vent et la pluie, le jour et le brouillard. J’aimerais lui demander ce que ça fait pour lui d’habiter, lui dire que je suis ici parce que mon grand-père a séjourné là. Mais il n’y a pas prescription à tout. Reste un fossé, infranchissable qu’il convient le laisser jachère. Tu n’y étais pour rien et lui non plus.
J’ai fierté soudain. Je vois vos courages et les nôtres désuets.
Ce sera nettoyer, finalement le mot. Et pas laver. Et ce sera ma mémoire et non la tienne. Humilitas.
Ambiance sonore
Nice post thanks for shharing
J’aimeJ’aime